Comme vous le savez peut-être, chers frères et sœurs, depuis maintenant deux ans, avec Matthieu de Vregille, nous proposons aux collégiens de notre paroisse de se retrouver au Fraternel un vendredi soir par mois, pour regarder un film. C’est ce qu’on appelle le « ciné-réflexion ». A chaque séance, on regarde un film en mangeant des pizzas, puis on se met en petits groupes pour analyser ce que l’on a vu, le commenter et relever ce que cela peut nous dire de Dieu, de la vie chrétienne et de notre monde.
Je pense que cet exercice est excellent pour les collégiens car cela accroit leur capacité d’analyse en même temps que leur compréhension du monde et de Dieu. Mais je peux vous dire que c’est parfois un vrai casse-tête non seulement pour trouver des films dans lesquels il n’y a pas d’images inappropriées mais aussi et surtout pour trouver des films dans lesquels ils arriveront à entrer. Non pas que les adolescents d’aujourd’hui soient moins faciles à captiver que ceux d’hier, mais parce que leur mode de consommation des images est radicalement différent des générations passées. A mon avis, la raison principale trouve sa source dans les réseaux sociaux, en particulier Tiktok et Instagram, qui abreuvent les jeunes de vidéos qui ne durent que quelques secondes. D’ailleurs, les influenceurs jouent avec cette contrainte. Comme les utilisateurs peuvent d’un simple geste du doigt passer à la vidéo suivante, ils doivent captiver leur auditoire dès la première seconde et maintenir un état de tension permanente. Or, quand on regarde un film, il faut du temps pour mettre en place une intrigue. Pour ne pas être caricatural ou simpliste, le scénariste doit décrire, présenter, mettre en place son histoire… ce qui oblige à une certaine patience. Patience que les réseaux sociaux ont contribué à atténuer pour ne pas dire éteindre.
Alors on pourrait facilement pointer du doigt cette génération. Dire, comme on aime bien le faire quand on a un peu vécu, que nous, on ne sait peut-être pas se servir de ces réseaux, mais qu’au moins, on sait prendre le temps de vivre et de contempler… Chers frères et sœurs, peut-être parce que je suis pris entre deux âges, je dois avouer être assez dubitatif sur ce dernier point. Car c’est la société tout entière qui est prise dans cette accélération du rythme de vie. Le monde professionnel, le monde associatif, le monde politique… tout nous pousse à rechercher sans cesse l’efficacité. Vous en doutez ? Eh bien, quelle est votre réaction quand une voiture devant vous, sur une route de campagne, roule à deux à l’heure ? Comment réagissez-vous quand un colis met plus de trois jours à arriver dans votre boîte aux lettres ? Quelle est votre première pensée lorsque la personne devant vous se met à papoter avec la caissière ou à chercher des petites pièces pour payer sa botte de radis ? Qu’on le veuille ou non, chers frères et sœurs, quelque soit notre âge, nous sommes entraînés par ce siècle à vouloir tout, tout de suite. Et à qualifier comme pénible ou ennuyeux ce qui n’est pas efficace.
Il y a là, je crois, une des raisons pour lesquelles on a du mal à entrer dans le texte d’évangile que l’église nous donne de lire ce dimanche. Car contrairement aux récits de guérison, aux rencontres de Jésus pendant son ministère public, ce long discours après la cène, est très statique. Il est très beau, très poétique. Mais on ne peut s’empêcher de penser que Jésus n’y est absolument pas efficace. Il répète plusieurs fois la même chose. Il tourne en rond. Et, comme les adolescents devant un film des années 80 ou 90 un peu lent à leur goût, on décroche facilement de ce type de discours. Et par conséquent, on a un mal fou à entrer dans ce que Jésus cherche à nous dire à travers ces mots.
Car ce discours exige que l’on s’arrête. On ne peut le lire en passant. Il demande que l’on stoppe nos activités pour le ruminer, le répéter, le décortiquer. Comme un sachet de thé que l’on plonge dans l’eau bouillante, ce discours demande du temps pour infuser et se répandre à l’intérieur de notre cœur.
C’est vrai dans la forme, c’est vrai aussi dans le fond. « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé ». Cela nous bouscule. Cela nous déplace. Car, avides de faire des choses pour Dieu, et de les faire de manière efficace, notre premier réflexe pour répandre la Bonne Nouvelle, est de faire un plan de bataille, d’aller voir un maximum de personnes pour leur annoncer le message de l’évangile. Ce qui peut parfois nous épuiser. Car force est de constater que ce n’est pas du tout ce que le Seigneur demande ici à son Père. Comment faire pour que le monde croie selon lui ? Il faut que nous soyons « un ». « Un » comme le Père et le Fils sont « un ». Il ne s’agit pas de faire, de dire, de proclamer, il s’agit d’être. Ou plutôt d’« être avec » ; être avec les autres, être avec Dieu. Et ne faire plus qu’« un » de l’unité même de Dieu.
Vous trouverez cela gonflé, chers frères et sœurs, de prêcher sur cette attitude très contemplative, alors que notre paroisse est engagée dans la caravane de l’espérance qui sillonne le Sud-Charente pendant 10 jours. N’est-ce pas mal venu de ma part de prêcher sur la contemplation alors que tout le monde s’active pour soutenir cette belle initiative ?
Je crois précisément que cette parole d’évangile arrive à point nommé, au milieu de ce pèlerinage missionnaire pour nous en rappeler le sens et la finalité. Car, par son discours, Jésus n’est absolument pas en train de nous décourager à aller à la rencontre des autres. Simplement, je crois qu’il nous rappelle que ce n’est pas grâce à nos actions, à nos paroles, que l’annonçons le mieux ! Ce qui convertit le monde en profondeur, ce qui lui permet de croire en Jésus, c’est notre unité, notre amour fraternel.
Comme le disait Jésus quelques versets plus tôt, c’est à l’amour que nous aurons les uns pour les autres que le monde pourra découvrir que nous sommes ses disciples. C’est à l’amour parfaitement gratuit que nous nous portons les uns aux autres, que notre monde pourra se laisser déranger par le message de l’évangile. Pour nous en convaincre, souvenons-nous de saint Paul que l’on ne peut pas accuser de paresse ni de mollesse dans l’évangélisation. C’est pourtant lui qui écrit aux Corinthiens : « j’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante. (…) J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien. ».
Je crois que nous avons là le meilleur encouragement pour mener à bien cette mission d’évangélisation dans laquelle nous sommes engagés avec cette caravane de l’espérance. Nous sommes appelés à cultiver l’unité au sein de notre communauté et surtout à vivre la charité entre nous. Car c’est à cela que nous serons attirants pour ceux qui nous entourent, et non parce que nous aurons été pertinents dans nos discours.
Alors, chers frères et sœurs, par cette eucharistie, sacrement par excellence de l’unité, entrons dans la relation du Père et du Fils. Laissons-nous intégrer dans ce corps qu’est l’Eglise. Oublions nos ressentiments et nos vieilles querelles. Et vivons en frères et sœurs, appelés à la même espérance : être « un » comme le Père et le Fils sont « un ». Amen.
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