(Baptêmes de Yuna, Lowson et Ezyo)
Avouez qu’on aurait bien aimé entendre une autre parole que celle-là. Nous nous rassemblons pour célébrer « le Prince de la Paix », celui qui fait la réconciliation entre tous les hommes, et voilà qu’il nous promet la division à l’intérieur même des familles. Elles n’ont pas forcément besoin de ça, nos familles, déjà souvent abîmées par les divisions, les non-dits, les reproches… Et puis nous sommes en joie pour célébrer des baptêmes ! Et Jésus parle d’angoisse, en évoquant le sien… cet Evangile semble être en contradiction avec tout le reste du message chrétien. Mais alors, comment l’accueillir comme une Bonne Nouvelle ?
Jésus désire allumer un feu sur la terre. On a vu l’œuvre catastrophique des incendies récemment, dans l’Aude ou aux portes de notre paroisse, à Brossac. Ces incendies qui continuent en Espagne ou au Portugal, et qui brûlent tout sur leur passage, qui ne laissent que cendres fumantes et paysages de désolation. Mais le feu dont Jésus parle n’est pas le feu d’un incendie destructeur. Il est le feu des langues de feu qui descendent sur les apôtres au jour de la Pentecôte. Il est le feu qui fait entendre les merveilles de Dieu chacun dans sa langue maternelle. Il est le feu qui rassemble autour de lui, tel le feu de la vigile pascale, qui redonne vie aux cendres reçues au début du carême. On comprend le désir de Jésus : que soit ranimé en nous le feu de sa présence, de son amour, de sa miséricorde. Que soit ranimé en nous le feu de notre baptême : celui-là même qui va être donné tout à l’heure à Yuna, Lowson et Ezyo. N’éteignez pas, n’éteignons pas le feu que nous avons reçu de Dieu et qui nous fait participer à la mission joyeuse de la proclamation de l’Evangile dans le monde, par notre vie. En éteignant ce feu, nous éteignons notre vie. Que ce feu emplisse la terre et nos cœurs de sa puissance !
Jésus parle ensuite de son baptême. Après le feu, l’eau ! Cette eau dans laquelle va / vont être plongés Yuna, Lowson et Ezyo. Ne serait-ce pas une joie, que de recevoir ce baptême ? C’est que Jésus nous emmène au cœur même de ce qu’est le baptême : non pas une fête de famille, toute aussi réjouissante et joyeuse soit elle, mais le Mystère de Pâques, celui de sa mort et de sa résurrection, auxquelles il nous fait participer. Ce baptême est une plongée dans les grandes eaux de la mort, pour que la mort qui nous habite soit engloutie et pour que nous ressortions de l’eau vivants d’une vie nouvelle. Ce baptême-là est bien une épreuve, parce qu’il nous oblige à quitter ce à quoi nous sommes parfois attachés, ce qui peut nous arranger mais qui n’entre pas dans la dynamique de l’amour de Dieu, tout ce qui est de l’ordre du péché. Ce baptême nous dépouille. Il faut passer par cette traversée pour renaître de l’Esprit. Le feu que Jésus désire prend naissance dans cette eau baptismale qui transforme tout. Pour allumer ce feu sur la terre, Jésus sait qu’il doit passer par l’épreuve de la passion. Et nous, c’est à sa suite que nous vivons notre baptême, pour passer avec lui et devenir ardents de ce feu.
Restent les paroles étranges de Jésus sur la division, qu’il préfèrerait à la paix. Ne pensons pas que Jésus serait devenu fou et rempli de contradiction. Sinon, qu’allons-nous faire en nous transmettant la paix du Christ, tout à l’heure ? Mais certainement que ce passage par le baptême et la vie dans ce feu ne peut nous laisser tièdes. L’enracinement dans la vie de Dieu ne fait pas de nous des mous, ni même des durs, mais des artisans de paix, des combattants pour la justice et la dignité, des femmes et des hommes qui savent pardonner, faire miséricorde, des doux… Des femmes et des hommes qui peuvent aller à l’encontre des idées de ce monde, des courants de nos sociétés, des recherches de bonheur ou de facilité qu’on nous propose à longueur de temps. Et cela peut provoquer des fractures, au sein même de nos amis ou de nos familles. Non pas dans la violence ou le rejet, toujours dans l’écoute et l’attention aux autres. Mais notre vie en Dieu, notre condition de disciple de Jésus peut provoquer des échanges parfois vifs : regardez ce qui se passe sur les questions de la loi sur la fin de vie, qui sera à nouveau discutée à la rentrée, ou sur d’autres questions de société… Regardez ce qui se passe quand des chrétiens acceptent de pardonner ce qui semble pourtant impardonnable à d’autres… Peut-être aurons-nous parfois à poser des choix, à garder un cap qui ne laissera pas indifférent notre entourage. Et ce cap, enraciné dans la prière et la foi, vécu avec un parti pris de douceur et de non-violence, deviendra signe de notre vie dans l’Esprit, de notre habitation en ce feu divin, de notre plongée dans l’eau de la nouvelle naissance.
La vie de disciple de Jésus n’est pas de tout repos. Je suis un peu désolé de vous le promettre ainsi, Yuna, Lowson et Ezyo. Mais elle est une aventure qui nous rend pleinement vivants, et participant du projet de Dieu pour l’humanité : faire de nous tous une communauté humaine dans la communion et dans l’amour, dans l’amitié et dans la joie, dans l’attention mutuelle et le pardon. Soyez les bienvenus dans cette magnifique aventure, et merci, par votre baptême aujourd’hui, de renouveler la nôtre.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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