« Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager. » Même les disciples les plus proches de Jésus sont donc parfois découragés de prier ! Il faut dire que l’efficacité n’est pas toujours autant visible que pour la prière de Moïse lors de la bataille contre les Amalécites ! Depuis combien de temps prions-nous pour la paix dans le monde et dans les cœurs, pour la santé de nos proches malades, pour que justice soit rendue à ceux qui en ont besoin, pour nos enfants, nos petits-enfants, nos parents, nos grands-parents, pour telle ou telle situation, et elles sont nombreuses. Pour nous-mêmes aussi, pour trouver solution à une difficulté. Pour rendre grâce aussi, comme Jésus le faisait remarquer dimanche dernier, et pour louer le Seigneur et ses merveilles ! Mais sans que cela change radicalement et visiblement les choses : il y a toujours des guerres, des violences, des malades et des injustices…
Nous avons nos habitudes – ou nos non habitudes – pour prier : un coin prière ou un lieu privilégié, un temps donné, de quelques minutes ou de plusieurs heures. Nous avons nos prières préférées : le chapelet, le rosaire, l’adoration, la messe, le silence, la méditation de la Parole, la lectio divina, la musique et le chant, etc, etc. Nous avons trouvé dans notre ordinaire une petite place pour la prière, nous lui avons assigné une case dans notre emploi du temps – et c’est déjà pas mal ! Mais qu’en est-il de son efficacité, ou de notre découragement peut-être, parfois, face au silence de Dieu et aux situations qui ne s’améliorent pas ? Quelle est-elle, cette prière qui semble parfois ne servir à rien, faite en pure perte ? A quoi doit-elle aboutir ?
Je vous livre ces mots du théologien suisse Maurice Zundel, qui répond à sa façon à cette question : « Toutes les prières doivent aboutir à cela que la vie elle-même devient prière, que la vie n’est plus qu’une respiration de Dieu, un espace où la vie se répand, une transparence où Sa Lumière se communique. Et, en un sens, on peut dire que toute prière authentique aboutit à cette prière sur la vie en nous et dans les autres : cela signifie qu’il y a un univers sacré qui est au plus intime de nous-mêmes, sur lequel nous pouvons faire oraison comme sur l’univers sacré qui est contenu dans le cœur des autres. La prière consiste, dit-on parfois, à se remettre en face de soi-même, mais je ne suis jamais seul ! Tout le ciel est au-dedans de moi je ne puis m’approcher de moi-même que sur la pointe des pieds, comme disait le poète, précisément parce que je ne suis pas seul, parce que tout le Sacré est au-dedans de moi. Tout le sacré est au-dedans de nous et la charité fraternelle se nourrit de ce sacré. Faire oraison sur la vie, faire oraison sur les autres, c’est le plus sûr moyen, sans violer leur secret, de respecter leur vocation divine ; et c’est le meilleur moyen, sans rien faire que d’exister en état d’agenouillement intérieur, de susciter en eux cette vie divine dont ils sont les porteurs et qui est leur grandeur et leur joie. Il faut finalement que la prière aboutisse à ce sanctuaire que nous sommes, pour construire cette Eglise vivante qui a son Centre au plus intime de nous-mêmes” (1971, dans Un autre regard sur l’homme).
L’efficacité de la prière n’est pas dans la réalisation de telle ou telle opération extérieure à nous-mêmes. Elle n’est pas l’exercice d’une technique qui transformerait les choses et les événements de façon mécanique. Elle n’est pas une somme ou une succession d’ordres à donner à Dieu pour lui rappeler ce qu’il doit foire pour nous. Dieu n’est pas au service de notre volonté, comme nous pouvons parfois l’imaginer, en écoutant nos prières. Il n’est pas celui qui vient répondre à tous nos désirs ou corriger toutes nos infirmités et nos limites, ou nous enlever aux responsabilités que nous avons. Mais l’efficacité de la prière est dans la transformation, lente et silencieuse, de toutes nos relations pour en faire des relations de charité et de fraternité. Elle est cette dilatation du cœur – et pourrait-elle agir ailleurs que sur le cœur, elle qui n’est qu’amour ? – qui ouvre à l’amour divin vivant en nous, et en chacun de nous. Elle est cet invisible lien avec le divin qui nous relie tous les uns aux autres, justement parce qu’elle est du divin. « On n’enchaine pas la Parole de Dieu », entendions-nous de Saint Paul dimanche dernier. On n’enchaine pas davantage la prière. Notre découragement n’est découragement peut-être seulement parce que nous faisons de la prière ce qu’elle n’est pas. Mais Dieu agit, sans cesse, et « sans attendre », pour ceux qui « crient vers lui jour et nuit. »
Alors, Seigneur, « que ta volonté soit faite, sur la terre comme au ciel », et nous serons comblés, non de ce que nous attendons, mais de ce que nous recevons de toi et qui dépasse tout ce que nous pouvons imaginer. Parce que tu es au plus intime de nous-mêmes, tu es notre respiration, et que nous remettons notre confiance et notre existence en toi.
Amen.
P. Benoît Lecomte
2 réponses sur « Homélie du 16 octobre 2022, par le P. Benoît Lecomte »
Merci Benoît pour cette belle homélie sur la prière.
Ci-dessous une prière de Hans Küng que j’aime relire.
Notre vie est courte, notre vie est longue.
Et je suis là, plein d’étonnement devant une vie
qui a connu ses tournants inattendus
et pourtant aussi sa direction rectiligne :
une vie de plus de trente et un mille jours,
des jours heureux et des jours sombres, changeants,
qui ont charrié avec eux tant d’expériences
du Bien et du Mal,
une vie dont malgré tout, je puis dire encore aujourd’hui :
c’était bien ainsi.
J’ai reçu incommensurablement plus
que ce que j’ai pu donner;
toutes mes bonnes intuitions et mes bonnes idées,
mes bonnes décisions et mes actes justes
me sont offerts, permis par grâce.
Et même là où j’ai pris des décisions fausses
et où j’ai mal agi,
Tu étais mon guide invisible.
Je demande pardon
pour tout ce en quoi j’ai failli.
Sois remercié, Toi, l’Insaisissable, Celui qui englobe tout
et traverse toute chose.
Cause, maintien et sens à l’originel de notre être,
que nous nommons Dieu,
Toi, le grand Mystère, le Mystère ineffable
De notre vie,
Toi, l’Infini dans tout le fini
Toi, l’Inexprimable dans tous nos discours.
Je Te remercie pour cette vie
avec tout ce qu’elle comporte de non clair et de surprenant.
Je Te remercie pour tous les événements vécus
les lumineux et les obscurs.
Je Te remercie pour tout ce qui était réussi,
Et pour
ce que Tu as finalement changé en bien.
Je Te remercie d’avoir fait en sorte
que ma vie devienne une vie réussie,
pas seulement pour moi seul, mais pour ceux
qui ont eu part à cette vie.
Le plan selon lequel se déroule notre vie,
Avec toutes ses errances et ses péripéties,
Toi seul le connais.
Nous ne connaissons pas Tes intentions pour nous
De prime abord.
Nous ne pouvons voir, comme Moise et les prophètes, Ton visage
Dans ce monde.
Mais comme Moise dans le creux du rocher
A pu voir de dos le Dieu qui passait,
Nous pouvons nous aussi voir Ta main, Seigneur,
Dans nos vies, après coup,
Et nous avons l’occasion d’apprendre
que Tu nous as portés et conduits,
et que ce que nous avons décidé et fait nous-mêmes,
C’est Toi qui l’as toujours orienté vers le Bien.
C’est ainsi que je dépose aussi entre Tes mains,
serein et confiant, l’avenir.
Ce seront peut-être des années, ou seulement quelques semaines;
je me réjouis de toute journée nouvelle
qui m’est offerte,
Et je Te laisse, plein de confiance et sans inquiétude ni peur,
tout ce qui m’attend encore.
Car de même que Tu es le Commencement du commencement,
et le Milieu du milieu,
Tu es aussi la Fin de la fin
et la Destination de toutes les destinations.
Je Te remercie, mon Dieu,
car Tu es amical
et Ta bonté demeure pour toujours.
Amen, qu’il en soit ainsi.
[…] – Comme chaque dimanche soir, l’homélie de ce jour est ici. […]