Il est des pages d’Evangile pleine d’élan, de lumière et de paix. Et il en est d’autres plus révolutionnaires, rugueuses, irritantes. Nous les accueillons aussi, les oreilles et le cœur en alerte.
Dans l’Ancien Testament, la richesse est souvent signe de bénédiction, de protection divine, une preuve de l’amour de Dieu pour la personne concernée. « La bénédiction du Seigneur enrichit, et l’effort de l’homme n’y ajoute rien », dit le Proverbe (Pv 10, 22). Après avoir semé et moissonné au centuple, le Seigneur béni Isaac qui devient un grand personnage puis un riche propriétaire (Gn 26). Dieu béni Jacob en lui annonçant qu’il sera fécond et prolifique et recevra, lui et sa descendance après lui, le pays offert à Abraham et Isaac (Gn 35). Le peuple d’Israël est promis à une terre promise, « un pays ruisselant de lait et de miel » (Ex 3, 8) Le roi Salomon est immensément riche, un don de Dieu en plus de l’intelligence du cœur et de l’humilité. Et l’on pourrait multiplier les exemples et les citations.
« Quel malheur pour vous, les riches », cris Jésus aujourd’hui, comme en un retournement radical de l’enseignement de la tradition. « Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant, car vous aurez faim ! » Dès le début de l’évangile, déjà, le cantique de Marie annonçait la couleur : « Il comble de bien les affamés, renvoie les riches les mains vides » (Lc 1, 46-55)
Alors… Faut-il conclure à une inconstance de la Parole de Dieu à travers la Bible ?
Ou bien il nous faut décaler notre regard.
Il me semble que le propos de Jésus ne porte pas tant sur la pauvreté ou la richesse, que sur le plein et le vide, le fermé et l’ouvert. Dans ce qu’on appelle les bénédictions et les malédictions, Jésus ne juge pas du portefeuille des uns et des autres. Mais invite à visiter notre cœur, et par lui notre manière de vivre. Quelques soient nos richesses, nos pauvretés, nos faims, notre notoriété : vivons-nous de manière fermée, close sur nous-mêmes, en étant « repus », en n’ayant besoin de personne, en ne voyant ni regardant personne ? Ou sommes-nous encore ouverts, disponibles, accueillants, assoiffés et affamés des autres, soucieux des relations, intéressés par les autres, le regard haut ? « Jésus, levant les yeux », nous dit le texte. Comme pour montrer le mouvement qu’il nous invite à vivre à notre tour. Tout le contraire de l’accaparement qui nous fait baisser le regard et regarder notre nombril. Il en est bien, dans le monde, qui pense qu’en achetant tout et en se fermant sur eux-mêmes ils seront plus heureux. Jésus annonce l’inverse. L’on pourrait dire, pour lier l’Ancien et le Nouveau Testament : « Si le Seigneur t’a donné bénédiction par la richesse (et la richesse n’est pas nécessairement ni uniquement financière), c’est pour que cette bénédiction rejaillisse sur tous ceux qui t’entourent, pour entrer en solidarité avec toute l’humanité, pour tendre la main en ouvrant le cœur et en levant les yeux vers les autres. » Alors on comprend mieux les mots de Jésus : « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. » Car le pauvre est celui qui sait qu’il n’est pas seul au monde, et qu’il est en solidarité avec toute l’humanité, dont il ne peut se dissocier. Plus encore, qu’il a besoin des autres, qui est ouvert aux autres.
Mais il ne s’agit pas seulement de morale, de mode de vie, de style de vie. L’Evangile n’est pas une leçon de bien-vivre. Elle est Parole de Dieu qui redit l’Alliance fondamentale qui lie Dieu à l’Homme et la révélation de Dieu à l’Homme. Elle n’est pas uniquement à dimension horizontale. Il y est question de notre relation à Dieu, de cette relation qui précisément nous donne de vivre ouverts et accueillants. Viennent alors non seulement les mots de l’évangile : « à cause du Fils de l’homme », mais encore les mots de Jérémie : « Béni soit l’homme qui met sa foi dans le Seigneur, dont le Seigneur est la confiance. Il sera comme un arbre planté près des eaux. » Ou encore ceux du psaume : « Heureux est l’homme qui se plait dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit. » L’ouverture, le « vide » permettant la relation aux autres, trouve sa source dans l’ouverture, le « vide », la pauvreté permettant la relation à Dieu, l’enracinement en Dieu. Celui qui est fermé et repus sur lui-même, est aussi fermé à Dieu. Là, sûrement, est son malheur, sa détresse, sa mort.
Et de cela, le Christ nous sauve. Mouvement rappelé magistralement par Paul dans sa lettre aux Corinthiens, nous invitant à mettre toute notre foi dans le Christ, mort et ressuscité, pour être « le premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis. » Là est notre véritable richesse, de celle qui appelle toute notre pauvreté pour être pleinement accueillants et ouverts à cette grâce, à cet événement, à cette folie. La résurrection de Jésus, pour peu que nous l’accueillions en plus creux et aussi au plus fermé de nos vies, fait éclater toutes les barrières pour nous ouvrir à son Esprit et à sa Vie, celle qui déploie toute notre existence aux dimensions de Dieu, dans sa pauvreté la plus belle et nue : l’Amour total, l’Amour donné.
Que la célébration de cette eucharistie ouvre notre cœur à la véritable pauvreté, celle qui permet l’accueil de Dieu et de tous, et nous donne de grandir dans la seule richesse qui ouvre au bonheur : Jésus-Christ.
Amen.
P. Benoît Lecomte
Homélie du 16 février 2025, par le P. Benoît Lecomte
Barbezieux - Baignes - BarretPublié le 15 février 2025
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