Imaginez la scène : des adolescents sont réunis pour préparer leur profession de foi. A la question : « Qui est Jésus pour vous », l’un d’entre eux répond que Jésus est le Christ. Alors, immédiatement, vous lui hurlez dessus en lui demandant de se taire, et vous le traitez même de « Satan » et lui imposez de penser autrement.
La scène parait loufoque. C’est pourtant ce qui se passe dans l’évangile. Et les conciles successifs ont eu beau définir Jésus comme Christ et Fils de Dieu, cette page de l’Ecriture résiste. Le torchon brûle entre Jésus et Pierre, le conflit est ouvert et vif.
C’est que si les mots sont justes, Jésus soupçonne que Pierre ne met pas les bonnes idées dessous.
Changement de décors. Paris, 2024. C’était hier, autour de l’Arc de Triomphe. Des centaines d’athlètes et de para athlètes qui nous ont fait vibrer tout l’été par leurs performances, leurs histoires, leurs caractères, leur rapport à la vie. Etaient célébrées les médaillés, les records, la puissance, la force. Les meilleurs sportifs mondiaux du moment. Ils ont été applaudis, décorés, acclamés, remerciés, comme des héros. Ils ont « paradé » parce qu’ils ont réussi.
Quel rapport entre les trois scènes ? Les pensées de Pierre. Et peut-être aussi les nôtres, « les pensées des hommes. » Il voit Jésus comme nous avons regardé ces athlètes, avec admiration, fascination. Il attend un héros, un chef, un leader, un meneur. Il attend un libérateur militaire, sinon politique.
Mais ce n’est pas connaître Jésus. Ni ces mots, ni ce regard, ni ces pensées ne correspondent à la foi au Dieu de Jésus Christ. Dieu n’est pas le Dieu des records, des hauteurs, de la puissance et de la force. Notre foi ne peut être un élan d’admiration ou de fascination. Elle n’est pas de l’ordre de ces relations que l’on pourrait avoir avec une star. Affirmer que Jésus est le Christ, et nous le ferons tout à l’heure dans le credo, ne peut se réduire à des mots, aussi justes soient-ils.
Coire que Jésus est le Christ est un mouvement.
Un mouvement d’abaissement. De renoncement. De perte de soi. « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » Prendre sa croix, ce n’est pas accepter, fataliste, les épreuves et les souffrances qui peuvent nous assaillir. Porter sa croix, c’est plonger dans la radicalité de notre baptême, celui du Christ, qui a été jusqu’au bout pour mettre l’évangile en pratique.
Mettre l’évangile en pratique. Voilà peut-être la seule et véritable confession de foi. « Toi, tu as la foi, moi, j’ai les œuvres. Montre-moi donc ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par les œuvres que je te montrerai la foi », rappelle sans détour Saint Jacques. La foi sans les œuvres est une foi morte. Les mots ne sont rien sans les actes. La parole n’est parole que parce qu’elle est en mouvement, que parce qu’elle rend raison d’un mouvement. Elle est sinon hypocrisie, ou trahison. Mettre l’évangile en pratique jusqu’à perdre sa vie à cause du Christ et de l’évangile. Parce qu’on ne peut croire en Jésus en restant spectateur ou commentateur de Dieu. Faire de la théologie ne suffit pas, elle peut même n’être rien si elle ne donne pas de vivre le mouvement de don, d’amour, d’amour jusqu’au bout. Pour trouver la vie.
Que l’on s’entende : Jésus ne nous demande pas de nous oublier, de ne plus s’aimer soi-même, de souffrir inutilement ou gratuitement. Il y a suffisamment d’épreuves qui nous attendent pour en rajouter « pour le plaisir. » Si l’Evangile nous provoque à une telle radicalité, c’est parce que Jésus nous indique un vrai chemin de bonheur – ce chemin qu’il dessinera dans les Béatitudes, sur la montagne. Heureux les doux, heureux les miséricordieux, heureux les artisans de paix, heureux ceux qui ont faim et soif de justice…
Ainsi, confesser que Jésus est le Christ, ce n’est pas seulement changer de pensée, et de pensée sur Dieu. C’est changer de vie. Adopter une vie convertie, une vie autre, qui ne suis pas « les pensées des hommes. » C’est entrer pleinement, complètement dans une vie marquée par l’amour – l’amour de l’autre, inconditionnellement. C’est mettre l’amour, la charité au premier plan. Et après tout, n’est-ce pas ce que l’apôtre Paul rappellera ? « Ce qui demeure aujourd’hui, c’est la foi, l’espérance et la charité ; mais la plus grande des trois, c’est la charité » (1 Co 13, 13).
Que cette eucharistie nous donne d’entrer dans ce mystère d’amour auquel Dieu nous convoque et par lequel il nous rejoint. Qu’elle nous donne la nourriture nécessaire pour non pas affirmer que Jésus est le Christ, mais pour mettre en pratique cette foi dans le don, dans l’abandon, dans l’amour.
Amen.
P. Benoît Lecomte
Laisser un commentaire