Chers frères et sœurs,
Bien que nous soyons en septembre et que la saison des mariages touche à son terme, je voudrais commencer cette homélie en commentant un moment précis de la liturgie du mariage. Cela ravivera certainement le souvenir de beaucoup. « Cunégonde, reçois cette alliance signe de mon amour et de ma fidélité ». Et quelques instants plus tard : « Gontrand, reçois cette alliance, signe de mon amour et de ma fidélité ».
Croyez-en mon expérience, bien que parfois chaotique à cause des doigts qui gonflent, l’échange des alliances a toujours une portée particulière pour les époux. Alors que ce geste est d’une simplicité déconcertante, il est un moment hors du temps pour ceux qui viennent d’échanger leurs consentements. Eh bien ce matin, je voudrais que l’on s’arrête un instant pour se demander pourquoi. Qu’est-ce qui fait la valeur de ce geste ?
Je crois que l’on peut rapidement écarter la dimension pécuniaire. Ce cercle de métal, bien que doré à la feuille ou en argent massif, vaut moins qu’un IPhone. Et bien souvent, c’est le bijou le moins cher parmi ceux de la maison. L’alliance coûte moins que les colliers de madame ou que la montre de monsieur. Pourtant, à leurs yeux, elle compte plus que tous les diamants du monde. La preuve : si je demande à deux personnes au hasard dans notre assemblée d’échanger leurs alliances, je suis prêt à parier qu’ils refuseraient sur le champ…
Pourquoi ? Parce que ce petit bout de métal leur rappelle à chaque instant ce jour où ils ont donné leur vie à un autre. Autrement dit, la valeur de l’alliance, c’est sa portée symbolique. Comme le disent explicitement les époux pendant la liturgie du mariage, l’alliance est le signe de l’amour et de la fidélité. Et ça, ça n’a pas de prix.
Vous vous demandez peut-être pourquoi je prêche là-dessus en ce dimanche où l’on célèbre la Croix Glorieuse ? Eh bien parce que c’est une excellente porte d’entrée pour saisir le geste posé par Moïse dans le livre des Nombres. Là encore, c’est un objet qui est en jeu. Un simple objet qui n’est certainement pas ce que le Peuple a de plus précieux : c’est un serpent, fabriqué en bronze et attaché au sommet d’un mât.
Et là encore ce serpent n’est remplaçable par aucun autre. Précisément parce qu’il est le signe de l’alliance retrouvée entre Dieu et son Peuple. Il est le témoin physique de cette alliance qui a été rompue et qui est désormais restaurée. Et c’est cela qui fait son efficacité pour guérir de la morsure des serpents brûlants. Ce n’est pas un simple gri-gri, un objet magique qui permet aux hommes d’être guéris. C’est un témoin visible, tangible. D’ailleurs, c’est en levant les yeux vers lui, que cette représentation du mal devient source de guérison. « Fais-toi un serpent brûlant, dit Dieu à Moïse, et dresse-le au sommet d’un mât : tous ceux qui auront été mordus, qu’ils le regardent, alors ils vivront ».
Cela nous amène assez naturellement, chers frères et sœurs, à une seconde question : la croix de Jésus, que nous célébrons aujourd’hui, est-elle du même ordre ? Est-elle équivalente à l’alliance des époux ou au serpent de bronze ?
La réponse n’est pas évidente… D’un côté, on aurait envie de dire « oui », car elle aussi est le signe d’une unité, le symbole d’une relation entre Dieu et l’homme. D’ailleurs, Jésus lui-même prend l’exemple du serpent de bronze pour expliquer à Nicodème ce qui est en jeu dans sa mission : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé ».
Comme le serpent, la croix représente l’alliance. Elle aussi est source de guérison spirituelle et même parfois physique. Elle aussi est un signe physique, tangible de la relation entre Dieu et l’homme… Cependant, quelque chose nous gêne. Quelque chose nous empêche d’aller au bout de ce parallèle… car ce qui pend sur la croix, ce n’est pas un serpent de bronze ! Ce n’est pas seulement une représentation ! Sur la croix, c’est Dieu lui-même qui donne librement sa vie par amour.
Et c’est là que toute comparaison s’arrête. D’ailleurs, Jésus le signale à Nicodème lorsqu’il dit : « Dieu a tellement aimé le monde, lui dit-il, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle ». Sur la croix, ce n’est pas un objet qui sauve, c’est une personne. Et ce n’est pas n’importe quelle personne, c’est Jésus ; c’est le Fils unique envoyé par le Père. Il ne représente pas la vie. Il est lui-même la vie éternelle en plénitude qui, en se livrant, se communique au monde.
Chers frères et sœurs, je crois que personne mieux que saint Paul n’arrive à l’exprimer. C’est pourquoi, je me permets de relire lentement l’épître aux Philippiens entendue tout à l’heure pour que nous nous laissions imprégner par ce mystère : « le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame ‘Jésus Christ est Seigneur’ à la gloire de Dieu le Père ».
La croix est précisément le point de retournement, le paradoxe par excellence qui constitue et symbolise le mystère chrétien : Dieu sauve le monde en se livrant. Il donne la vie au monde en mourant par amour.
Il est là, chers frères et sœurs, le sens profond de la fête que nous célébrons aujourd’hui. Une fête qui tombe providentiellement cette année un dimanche, ce qui permet au plus grand nombre de s’y associer.
Cette fête nous invite à renouveler notre culte envers la croix du Christ. Par la prière, bien sûr. Mais pas uniquement ! Aujourd’hui, par sa Parole, Dieu nous invite à entrer concrètement dans cette dévotion en ne faisant jamais de la croix un simple gri-gri. Bien sûr qu’elle est le signe de notre guérison. Bien sûr qu’elle est le lieu de rassemblement de tous les chrétiens. Mais elle est toujours plus que cela. Le Seigneur nous rappelle qu’elle est le moyen de notre salut ; le moyen par lequel nous recevons la vie.
C’est la raison pour laquelle chacune de nos liturgies commence par le signe de la croix. C’est la raison pour laquelle les chrétiens osent porter cet instrument de torture autour du cou. Mais surtout, c’est la raison pour laquelle nous sommes tous invités à aimer d’un amour fou la croix de Jésus-Christ. Par elle, le Père nous élève à lui. Par elle, Jésus nous donne la vie. Par elle, l’Esprit nous envoie annoncer le salut à tous ceux qui sont écrasés par leurs propres croix.
Alors chers frères et sœurs, aujourd’hui, en recevant le Corps du Christ, ayons une plus vive conscience de ce qui est en train de se jouer dans ce sacrement. Jésus y actualise son sacrifice d’amour. Il se livre en nos mains pour nous donner la vie. Alors, « heureux les invités au repas des noces de l’Agneau. Le voici, l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde ». Amen.
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