« Poteau muni d’une traverse et sur lequel on attachait des condamnés pour les faire mourir. » Voilà la définition de la croix. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le dictionnaire. La croix est bien un instrument de torture et de mort, il n’y a pas de doute. Le signe que nous avons fait sur nous au début de cette messe, et toutes les croix qui sont dans nos églises, ne seraient-elles donc que des signes de mort ? Quelle est cette religion, à laquelle nous appartenons, qui a voulu prendre pour symbole, celui de la croix ?
C’est que le Dieu auquel nous croyons fait tout voler en éclat. Toujours. Il ne respecte jamais les lignes établies. Avec lui, les premiers sont les derniers, les puissants sont rabaissés et les faibles sont élevés. Avec lui, le Ciel et la Terre se rencontrent, le rideau du Temple se déchire, les malades sont guéris, les morts ressuscitent. Tout ce que nous croyons toujours détenir de vérité sur Dieu, peut s’évaporer en un instant car il nous prend toujours à rebours. « Alors que les Juifs réclament des signes, et que les Grecs recherchent la sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes », écrira Saint Paul (1 Co 1, 22-25). La logique de Dieu n’est pas celle des hommes, ses pensées ne sont pas les nôtres.
Et voilà que la croix, instrument du supplice, devient signe de vie. Car la puissance de Dieu est révélée de la façon la plus magnifique dans l’événement de la résurrection de Jésus. Lui qui est mort sur la croix, a traversé la croix. La croix n’a pu le retenir dans la mort : il en a fait un passage, un passage pour la vie. La mort a été clouée à la croix, et la vie a été la plus forte. Non seulement sa propre mort, mais aussi la mort en général, la réalité même de la mort, de la fin de tout, du néant et de l’abime. Non seulement sa propre mort, mais la mort de tous les êtres humains. Ce qui était la fin n’est plus la fin. Et la croix est devenue passage… vers la vie éternelle, la vie de toute éternité, la vie commencée depuis toujours et à toujours et de laquelle nous participons déjà dans notre aujourd’hui, en attendant d’en vivre pleinement… dans le baptême.
Oui, le baptême est un passage par la croix, par la mort et la résurrection de Jésus, pour que la mort qui nous habite soit clouée avec lui et que nous revivions de la vie éternelle, avec lui et en lui. Ce bain qui nous sauve est le même que le passage de la croix. Dans les deux cas, c’est le Christ, Jésus, qui prend l’initiative de nous sauver et de nous mener dans la lumière du Père, pour vivre éternellement. Voilà que ce vit aujourd’hui Maely.
Alors quand nous faisons sur nous le signe de la croix, comme nous l’avons fait tout à l’heure, nous ne faisons pas un signe de mort, encore moins de torture ou de violence. Nous faisons le signe de la puissance de Dieu qui, par la croix, sauve le monde (lui qui est venu « non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé »). La croix, signe du salut offert par Dieu en Jésus-Christ, signe de la gloire de Dieu. Voilà pourquoi notre croix est « glorieuse ».
Alors la fête de la Croix Glorieuse devient l’occasion de fêter et célébrer l’amour de Dieu pour le monde. Lui qui a « tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique ». Et elle nous plonge dans cet amour qui peut nous paraître étonnant. Car quand on voit le monde tel qu’il est, quand on regarde autour de nous, quand on se met à écouter l’actualité et le bruit du monde, du monde lointain, du monde proche ou même de notre monde intérieur, nous ne voyons peut-être pas beaucoup de raisons de l’aimer à ce point. La croix, avec sa force de vie qui dépasse toute mort, de paix qui dépasse toute haine, d’amour qui dépasse le mal, convertie nos cœurs à la puissance de Dieu et à sa volonté d’aimer jusqu’au bout, non pour nous juger – ce que nous faisons si facilement, et surtout de manière négative – mais pour nous sauver.
Comme Jésus le suggère à Nicodème dans l’évangile : levons les yeux vers la croix. Recevons à l’intérieur de nous-mêmes l’amour de Dieu qui vient révéler la beauté de notre humanité en la sauvant de ce qui l’enlaidi. Contemplons le Christ, Jésus, qui s’est livré pour nous sur la croix, et confions-lui ce monde blessé que nous habitons, pour qu’il nous mène à la Lumière, dans sa Gloire.
Amen.
P. Benoît Lecomte






Une réponse sur « Homélie du 14 septembre 2025, par le P. Benoît Lecomte »
Encore une belle homélie.