Je voudrais prendre un peu de temps pour relire très tranquillement le psaume que nous avons entendu. Le relire en prenant conscience, réellement conscience, de ce qu’il nous dit de qui est Dieu et de ce qu’il est : « Le Seigneur fait justice aux opprimés / aux affamés, il donne le pain / le Seigneur délie les enchaînés / Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles / le Seigneur redresse les accablés / le Seigneur aime les justes / Le Seigneur protège l’étranger / il soutient la veuve et l’orphelin / D’âge en âge, le Seigneur régnera. » Le Dieu tout puissant, le Créateur de l’univers, Celui qui peut tout et qui surpasse tout, s’intéresse d’abord aux plus petits, aux pauvres, aux malades, aux exclus. Il n’est pas tourné d’abord vers les puissants, vers les chefs, vers ceux qui ont des fortunes ou des armés, vers ceux qui ont le pouvoir ou le savoir, vers ceux qui semblent n’avoir besoin de personne, mais il regarde d’abord les faibles et il leur vient en aide, il prend soin d’eux. Il ne semble pas s’inquiéter des riches, mais il se penche vers les pauvres. Il ne joue pas du tambour pour montrer sa grandeur, il se fait lui-même petit, il se met à la hauteur de ceux qu’il veut rencontrer.
On comprend la question de Jean le Baptiste, qui a été emprisonné et qui attend le Messie, le Sauveur, le Libérateur. Peut-être a-t-il l’idée que ce sauveur sera un puissant, un chef de guerre qui rétablira la justice à coup de lois et en s’imposant par la force ? En tout cas, il doute. Alors il fait envoyer des émissaires pour demander à Jésus si c’est bien lui, le libérateur. Ce n’est pas vraiment évident. Mais il y a fort à parier que Jean-Baptiste va comprendre la réponse de Jésus, parce qu’il connait lui aussi les psaumes. Et la réponse de Jésus va remettre dans la mémoire de Jean le psaume que nous venons d’entendre et les paroles du prophètes Isaïe, et il va comprendre que si les aveugles retrouvent la vue, que les boiteux marchent, que les lépreux sont purifiés et que les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle, alors l’action de Jésus correspond à l’action de Dieu dans le psaume ou chez le prophète, et donc que Jésus est bien le Sauveur, il est Dieu-avec-nous, Dieu-au-milieu-de-nous. Jésus ne répond pas « oui, je le suis », ou « non, ce n’est pas moi ». Il renvoie à des signes, à des événements, à des faits. On ne reconnait pas Dieu parce qu’on nous dit que c’est Dieu. On reconnait Dieu à cause de ce qui est vécu, de ce que nous voyons, de ce que nous comprenons et qui répond à sa promesse et à son « style » de présence. La connaissance de Jésus n’est pas de l’ordre du savoir (« je sais que c’est lui »), elle est de l’ordre de l’expérience (je comprends que c’est lui qui est passé par là).
Notre chemin vers Noël nous fait vivre cette conversion, ce changement de point de vue, cette nouvelle compréhension de qui est Dieu. Il faut avouer que ce n’est jamais facile pour nous. Naturellement, Dieu est le tout-puissant, celui qui peut tout et qui n’a besoin de personne, qui est loin de nos préoccupations mais que nous pouvons appeler pour lui demander de l’aide quand ça ne va pas. Il nous faut entrer dans une autre logique : celle d’un Dieu qui se fait proche de nous et qui nous aime jusque dans nos fragilités, pour nous relever et guérir nos blessures. Il nous faut entrer dans la logique d’un Dieu qui se fait faible avec les faibles, pauvre avec les pauvres, pour les rejoindre, nous rejoindre dans nos faiblesses, nos maladies, nos pauvretés. Pour nous rejoindre dans notre humanité, non pas celle que nous voulons donner à voir au monde, mais notre humanité réelle, telle qu’elle est, avec aussi sa part d’ombres, de souffrances et même de péché. Il nous faut ce temps de l’Avent pour passer de l’image d’un Dieu fort et puissant là-haut dans le ciel, à un Dieu qui se laisse rencontrer dans un bébé, dans la fragilité d’un nouveau-né couché dans de la paille.
Nous nous préparons à célébrer la naissance d’un enfant né à Bethléem. Tout à l’heure, nous avons accueilli au milieu de nous une lumière. Une petite flamme, chétive, allumée il y a quelques jours dans la grotte de Bethléem. Autrement dit, en Cisjordanie, sous contrôle palestinien et sous occupation israélienne. Un des endroits de la planète où la violence est la plus inextricable. Cette petite flamme est d’une fragilité consternante. Mais elle a déjà traversé les murs de haines et d’armes, les frontières les mieux gardées, les mers et les montagnes pour arriver jusqu’à nous. Et cette flamme est un signe de paix, d’une paix que rien n’arrête. Elle est le signe que la paix et le règne de Dieu sont là, tout proches. Non pas en idée ou en théorie, non pas dans un compromis qui ne fait que des perdants, mais dans une expérience à accueillir et à partager. Dans l’expérience que nous pouvons faire de Dieu, dans l’expérience que tu peux faire de Dieu. Quand il ouvre les yeux des aveugles, fait marcher les boiteux, ouvre à sa Paix et sa Présence, quand il nous fait vivre ensemble. Comme en l’eucharistie que nous célébrons. Elle est le signe que Dieu est là, avec nous, et que nous pouvons nous aussi devenir signes et messagers de sa présence autour de nous.
Accueillons cette Parole, cette Lumière et cette Paix en nous, pour devenir à notre tour artisans et messagers de la Bonne Nouvelle du Mystère de Noël.
Amen
P. Benoît Lecomte






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