Que faisons-nous ici ? Je veux dire : pourquoi donc nous rassemblons-nous tous les dimanches, nous retrouvons-nous dans des églises, nous engageons-nous dans des services paroissiaux, dans la mission de vivre l’Evangile et de faire connaître la Bonne Nouvelle ? Pourquoi vivons-nous en Eglise, pourquoi cet engagement de notre part ? Pourquoi cette réponse à l’appel de Dieu ? Nous pourrions être tentés de répondre, comme le désire le jeune homme de l’évangile : « pour avoir la vie éternelle en héritage. » C’est aussi la réponse que donne un catéchumène qui demande le baptême au moment de son entrée en catéchuménat, c’est-à-dire au moment où il frappe à la porte de l’Eglise pour y entrer : « – Que demandez-vous à l’Eglise ? – La foi ; – Et que vous apporte la foi ? – La vie éternelle. » Et c’est bien ainsi que nous allons vivre le baptême de Louise dans quelques instants : elle va accueillir la foi et être plongée dans l’eau pour vivre de la vie éternelle. Ainsi, la question du jeune homme de l’évangile n’est pas éloignée de ce que nous vivons maintenant. Elle nous rejoint même avec une actualité vive.
Peut-être ne pourrions-nous pas répondre comme lui. Il confesse respecter tous les commandements depuis sa jeunesse : s’il le fait, ce jeune homme est exemplaire. Mais nous pouvons tout de même mettre à notre actif quelques bonnes volontés, des actes de partage et de justice, un peu de piété, le sens du religieux, et vous complèterez la liste.
Pourtant, tout cela ne donne pas la vie éternelle. Je veux dire : ne fait pas vivre. Cela fait de nous des personnes honorables, fréquentables, respectables, pour peu que nous ne soyons pas trop hypocrites. Mais cela ne fait pas de nous des vivants de l’amour de Dieu. Il faut plus. Ou autre. Il faut regarder ailleurs. « Va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » Et l’homme « s’en alla tout triste parce qu’il avait de grands bien », nous dit-on. La vie éternelle, la vie véritable, la vie qui ne s’éteint pas, la vie qui se déploie en nous à l’infini et qui nous donne d’être pleinement nous-mêmes, n’est pas une question d’obéissance à des commandements. Elle est aventure, folie, abandon, absolu, sortie de sa zone de confort… elle est amour et relation, elle est relation dans l’amour. Relation dans l’amour avec le Seigneur, en lui remettant toute notre confiance, et relation dans l’amour avec tous nos frères et sœurs en humanité, et particulièrement les plus pauvres.
Le roi Salomon, en son temps, n’avait pas demandé au Seigneur les trônes et les sceptres, les pierres précieuses et tout l’or du monde, les richesses de son temps, ni même la beauté ou la santé. Mais la grâce et l’intelligence de la Sagesse et du discernement, car eux donnent d’aimer avec justice et vérité. La Sagesse et le discernement ouvrent à une parole juste, à un regard aimant. Il nous faut nous aussi, en Eglise, en paroisse, entrer dans ces dispositions.
L’an dernier nous avons pris le temps de vivre des assemblées de communautés locales puis une assemblée paroissiale. Nous avons pris le temps de l’écoute mutuelle, de l’écoute du monde et de l’écoute de la Parole de Dieu. Nous avons pris le temps du discernement en invoquant l’Esprit de Sagesse, pour renouveler notre façon de vivre en Eglise dans notre territoire, et dynamiser notre chemin. Nous avons pris le temps de regarder avec amour, comme Jésus regarde l’homme riche, celles et ceux avec qui nous vivons et vers qui nous sommes envoyés. Et nous nous sommes donnés quelques pistes, quelques chemins, quelques orientations pour unifier notre présence. C’est ce que nous appellerons notre « projet pastoral de paroisse », qui veut, dans l’ordre de la prière, de l’annonce de la Parole et de l’ouverture et de la solidarité, nous inviter à adopter une démarche de type catéchuménal, et à être à l’écoute du monde rural auquel nous participons. Il est maintenant là, ce projet, sous nos yeux. A nous de nous donner les moyens, ensemble, avec tous nos talents, de répondre à ces appels de l’Esprit.
Sûrement serons-nous invités, communautairement et peut-être personnellement, à quitter, encore et encore, quelques inquiétudes et peurs, quelques postures, quelques habitudes, quelques « on a toujours fait comme ça », quelques « il n’y a personne pour prendre la relève »… Quelques richesses que nous gardons et sans lesquelles nous aurons l’impression d’avoir tout perdu. Mais c’est sans entendre les derniers mots de Jésus et sa promesse : « nul n’aura quitté à cause de moi et de l’Evangile… sans qu’il reçoive en ce temps déjà, le centuple… et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »
Que faisons-nous ici ? Ceci : nous remettre entre les mains du Père. C’est-à-dire nous donner nous-mêmes, et le monde dans lequel nous vivons, au Seigneur, libres de toute peur. Dans une confiance folle. Dans une espérance qui ne décevra pas. Dans un élan d’amour et de feu que le Père, dans sa grâce nous rend en vie éternelle et qui nous donne d’aimer à la manière de ceux qui ont tout quitté mais qui sont heureux parce que riches de la Parole de Dieu, de la force de l’Esprit, de l’amour du Père, du compagnonnage de Jésus. Et la vie éternelle ne sera pas alors un héritage à recevoir dans l’au-delà, mais un Présent de chaque instant, à recevoir et à vivre joyeusement, en Eglise, témoins de cette vie.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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