C’est la nuit. Le monde dort. Le bruit du vent dans les arbres, les cris de quelques animaux dans les bois remplissent le silence qui s’est levé à mesure que l’obscurité tombait. Quelques chauves-souris volent de-ci de-là. Un son aigu perce parfois l’espace. Au très loin, les étoiles scintillent. Comme un calme a envahi le monde.
C’est la nuit. Les bombes ne cessent de tomber, comme à l’aveugle, dans une folie sans nom. Le bruit est assourdissant. Le souterrain n’a plus ni eau ni électricité, les vivres se font rares. La peur tient aux entrailles, à faire vomir, à l’écœurement. Les immeubles autour ont déjà été démolis, le nombre des morts augmente sans cesse… Qui seront les prochains ? Comment s’accrocher à la vie ? Violence indescriptible, nid de nouvelles haines .
C’est la nuit. La maladie a élu domicile dans mon corps. Je ne sais où j’en suis, pourquoi cela m’arrive, ce que j’ai mérité pour devoir vivre cela. Les diagnostiques font peur. On m’appelle « patient » mais tout m’impatiente. Je boue à l’intérieur de moi, la colère m’envahie parfois. Le temps s’éternise, je voudrais que tout soit fini… ou que tout n’ait jamais commencé.
C’est la nuit. Les invectives fusent. L’unité est déchirée, chacun essaie de crier le plus fort, plus fort que son voisin. Chacun veut avoir raison, imposer sa vision. Politiques, syndicats, religieux de tous bords, chefs d’états, financiers. Tout est concurrence, compétition, course à la petite phrase, au buzz, au fric, aux voix. Cacophonie indescriptible d’où aucun horizon n’émerge. Guerre des petits chefs qui ne fait grandir personne.
C’est la nuit. Même celui en qui nous espérions, est mort. Il a été tué, crucifié, on lui a pris la vie. Et nous, nous attendions, nous espérions, nous divaguions. Espérance déçue. Disciples anéantis : à quoi s’accrocher désormais ? La lumière s’est éteinte, la nuit est tombée, l’obscurité semble avoir enivré les cœurs de ses ténèbres.
C’est la nuit.
C’est la nuit mais notre cœur reste tendu. Tendu vers autre chose, vers une aurore, vers une aube, un avenir. C’est la nuit, mais « dans la nuit, je me souviens de toi et, avec le psalmiste, je reste des heures à te parler ».
Et « au milieu de la nuit, un cri : « Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre. » « Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ! » Et par lui, « ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront… et aussi « nous, les vivants qui sommes encore là… Ainsi, nous seront pour toujours avec le Seigneur », annonce Saint Paul. Une espérance se lève. Pointe une lumière. Un avenir s’ouvre. C’est la nuit, mais elle n’est pas la fin. L’époux vient, la noce n’est pas finie, la fête peut commencer, ou continuer. « Ne soyez pas abattus comme ceux qui n’ont pas d’espérance », rassure l’apôtre. « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube : mon âme a soif de toi. »
Et dans ce clair-obscur, naît celui qui espère, et de lui, celui qui croit, et qui désire. Et se présentent la foi, et la Sagesse. « Elle se laisse contempler, trouver par ceux qui la cherchent. Elle devance leurs désirs en se faisant connaître la première. Celui qui la cherche dès l’aurore la trouvera assise à sa porte. » Comme l’époux qui vient à la rencontre de ces jeunes filles. Il est comme la Sagesse dont on nous dit qu’« au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant ». Il est là. C’est lui qui vient et les réveille de leur sommeil… Elles s’étaient endormies, dans leur nuit et il les trouve assises à sa porte. L’époux et la Sagesse, c’est tout un. Restait pour quelques-unes des jeunes filles, un peu d’huile pour maintenir la lampe allumée. Un désir. Une soif. Un élan intérieur. Un mouvement. Une confiance que rien n’a pu éteindre. Foi de l’Homme qui cherche Dieu, d’un Dieu qui vient retrouver l’Homme, jusque dans sa nuit – et d’abord dans la nuit. Elles sont peu nombreuses, les rencontres de Jésus en plein soleil. Il y a la Samaritaine, dans la lumière de midi. Mais les autres : Nicodème, et la crèche, et la croix, et le tombeau… c’est de nuit. La nuit n’est pas la fin, elle peut même être un début. D’un processus de paix, d’une réconciliation, d’un horizon nouveau, d’une vision inattendue, d’une aventure neuve, d’une nouvelle naissance, d’une lumière inconnue. Dans la nuit, l’époux vient et t’invite à la noce. Là est le disciple. Au milieu de la nuit, il tient vif le désir, il garde l’espérance, sa foi ne s’éteint pas. Veilleur de l’invisible, prophète à contre-temps, prêtre au cœur vivant, serviteur jusqu’au bout, il tient la place du Christ. Il en est signe dans ce temps, témoin en actes et en paroles. Son huile vient d’un Autre, dont il reçoit la Vie. Une Vie en abondance, Lumière pour le monde.
Gardez vos lampes allumées, réveillez-vous, veillez dans la confiance, sortez à sa rencontre : l’époux vient, et il est là, au milieu des nuits de ce monde, pour nous mener au jour. Et nous, d’en être des veilleurs, et des témoins. Alléluia !
P. Benoît Lecomte
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