Que n’a-t-on pas déjà dit à propos de cette page d’Evangile archi connue ? Qu’avons-nous encore à découvrir de ce récit tant de fois utilisé pour parler du pardon, de la miséricorde du Père, du besoin de retourner à lui quand nos chemins se sont égarés ? Combien de fois l’avons-nous médité à l’occasion d’une célébration de réconciliation et de pardon ? Combien d’analyses et d’interprétations avons-nous entendues sur les psychologies et les rapports entre les deux fils et entre chacun de ces fils et leur père ?
Une lecture nouvelle vient pourtant attirer notre regard et notre cœur. « Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : « Père, donne-moi la part de fortune qui me revient. » Et le père leur partagea ses biens. » Si le père de la parabole est une image de Dieu Père, qu’a-t-il donc à donner à ses fils ? Si le cadet demande « sa part de fortune », le texte dit que le père « partage ses biens »… Il n’est plus question de fortune, d’argent, mais de « biens ». Ces biens peuvent être matériels. Mais le Père des Cieux pourrait-il partager des biens matériels ? Ne peut-il pas partager que ce qu’il a, c’est-à-dire aussi ce qu’il est : sa vie ? Le père ne partage pas son compte en banque, il partage sa vie à ses enfants. Le fils cadet ne part pas avec une somme rondelette dans la poche, il part avec la vie du Père en lui. C’est ce que va rappeler la seule phrase répétée deux fois dans ce récit, lors du retour du fils : « Mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé. » Le texte ne dit pas, comme on l’interprète si souvent : « il était pécheur et il est pardonné », mais « il était mort et il est revenu à la vie ! » La parabole raconte une situation de vie et de mort, ou de mort et de vie. Après tout, le seul domaine dans lequel Dieu soit vraiment tout puissant et seul maître. Le père a donné sa vie, le fils a liquidé, gaspillé, perdu cette vie en s’éloignant du père, et il retrouve la vie en revenant à lui.
Voilà qui vient inspirer nos propres vies et notre rapport à Dieu. Voilà qui vient nous inviter à « rentrer en nous-mêmes », comme le fils de la parabole, pour lire où nous en sommes de cette vie donnée, offerte par le Père. Comment nous en prenons soin, comment nous la déployons, comment nous restons liés à sa source. Comment nous la partageons avec tous ceux qui nous entourent, dans toutes nos relations, avec l’environnement dans lequel nous vivons, avec cette terre malade.
Milano et Nolan, vous allez être plongés dans cette eau, dans cette vie du Père tout à l’heure. Pour devenir « héritiers, cohéritiers avec le Christ » de cette vie, dira Saint Paul dans un autre écrit. Comme le fils qui voulait sa part d’héritage. Héritiers avec nous tous de l’absolue puissance de vie portée par l’amour infini de Dieu. Qu’en ferez-vous ? Ne laissez pas éteindre cette vie de liberté et de folie, de solidarité et de proximité, de joie et d’espérance.
Peut-être, « rentrant en nous-mêmes », allons-nous nous apercevoir que nous sommes parfois loin de cette vie. Que nous la gaspillons, que nous la liquidons, que nous la perdons. Si c’est le cas, laissons-nous rejoindre par le Christ. Il est, Lui, celui qui est sorti du Père pour partager notre condition humaine. Celui qui à qui on reprochait de parler aux prostituées et aux pécheurs. Celui qui n’a pas eu peur de trainer jusque dans les boues de notre humanité, et de descendre encore, au plus loin de la vie du Père, jusque dans la mort à toute vie. Lui, le Christ, Jésus, vient nous chercher pour nous ramener à la vie. Pour nous raccrocher à la source qu’est le Père, à sa puissance de recréation. Pour nous rendre à notre héritage promis. Pour nous faire participer à la fête et au banquet, dans la joie de la communion de toute la création.
Et de reprendre alors nous marche, joyeusement, au milieu du monde et de l’univers, pour participer à ce débordement de vie que le Père veut pour nous et qui conduit au bonheur.
Amen.
P. Benoît Lecomte
Laisser un commentaire