Ce que l’Eglise de France a vécu cette semaine est sans précédent. La vérité qui éclate à nos yeux et que nous n’avons sûrement pas voulu voir, que nous n’avons jamais nommé avec autant de force, est de nature à troubler notre vie de foi et d’Eglise. Elle est une nouvelle libération de la parole après la libération de la parole des victimes d’abus et particulièrement de l’horreur absolue des abus sur mineurs. Nouvelle libération, celle-ci d’une parole de reconnaissance honteuse. « Elle est vivante, la Parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit ; elle juge des intentions et des pensées du cœur ; tout est nu devant elle ; nous aurons à lui rendre des comptes », disait la Lettre aux Hébreux. Force est de constater que la Parole de Dieu a pris le chemin de la parole des victimes. Elle s’est faite chair dans ces existences brisées, pour transpercer le silence et l’aveuglement d’une institution trop bien installée dans ses habitudes et ses coutumes, sûrement aussi dans ses peurs d’être bousculée. Et nous voilà saisis. Par cette parole. Par l’horreur. Et par la vérité dénoncée. Ce n’est pas nous qui avons lu la parole, c’est la parole qui nous a lu, et mis à nu.
« Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » La question de l’homme de l’évangile monte à nos lèvres et à nos cœurs. Nous avions peut-être cru être dépositaires de cette vie éternelle. Peut-être même, parfois, propriétaires. Bien-pensants et bien croyants, au sein d’une organisation certes avec quelques défauts (chacun y mettant ceux qu’il juge à l’aune de ses propres références), mais tout de même riche de la Révélation et porteuse d’une Tradition que rien ne pouvait bouleverser. Nous n’étions peut-être pas aussi parfaits que prétend l’être l’homme riche de l’évangile, mais malgré tout assez observant de la loi pour estimer être justes. Depuis quelques jours, il n’en est plus ainsi. « Le mal personnifié s’est insinué dans l’œuvre de salut », raconte Monsieur Sauvé, rapporteur de la CIASE. Le naufrage décrit dans le rapport n’est pas seulement celui des clercs et des responsables ecclésiastiques, bien qu’ils aient une part toute particulière. Il est celui de nous tous, qui avons pu fermer les yeux et la bouche.
« Mes enfants, comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu ! » s’exclame Jésus. Il parle de nous. De nos richesses peut-être matérielles et de notre confort, mais aussi de la fermeture de notre cœur aux pauvretés du monde. Et Jésus de continuer : les hommes ne peuvent se sauver eux-mêmes, ils ne peuvent réaliser par eux-mêmes leur salut. Mais tout est possible à Dieu : lui seul peut sauver le cœur humain de ses ténèbres.
A travers cette page d’Evangile, et à travers la lecture du rapport de la CIASE, se pose une question fondamentale : à quoi sommes-nous attachés ? Ou, posée autrement : où est notre liberté ? Est-ce dans l’accumulation des richesses ? Ou dans l’obéissance – je n’ose dire soumission – à des lois fussent-t-elles ecclésiastiques ? Ou dans des coutumes ou des habitudes rassurantes ? Ou bien sommes-nous attachés à Dieu, au Christ, qui se laisse rencontrer d’abord et avant tout dans la faiblesse et la fragilité, dans l’humilité et la pauvreté, dans l’innocent bafoué, dans le frère ou la sœur abandonné(e) ? C’est-à-dire dans le cœur à cœur humain, dans ce très-bas commun à tous, où tous nous nous retrouvons, pauvres au milieu des pauvres, démunis au milieu des démunis, nus au milieu des nus ? L’appel de l’Evangile d’aujourd’hui, l’appel du rapport reçu cette semaine, nous convoque à ce ménage intérieur, à une conversion profonde, à tant de remises en question radicales. Il nous faudra du temps, certainement, pour aller au bout d’un processus qui sera probablement toujours à reprendre et à vérifier – car tel est le cœur de l’homme qu’il refuse parfois l’insécurité du chemin.
Nous pouvons alors méditer le Livre de la Sagesse et reprendre la prière de son auteur. « J’ai prié, et le discernement m’a été donné. J’ai supplié, et l’esprit de Sagesse est venu en moi. Je l’ai préférée à la lumière, parce que sa clarté ne s’éteint pas. » Demandons avec force cet esprit de discernement et de Sagesse, cette Sagesse qui n’est pas une qualité ou une vertu, mais une personne qui vient nous rencontrer et nous sauver, nous délivrer des ombres et des fausses richesses. Un long travail s’ouvre à nous, pour les responsables d’Eglise mais pour tout le Peuple de Dieu. Un travail de renaissance, de naissance nouvelle, de construction nouvelle. Le baptême de Marie-Lou ce matin, les étapes de baptême de vous tous, les enfants qui vous engagez sur ce chemin de vie, ton pas supplémentaire Aboubacar, la demande de communier de quelques-uns d’entre vous, est une belle espérance qui nous réjouit profondément. Votre présence ce matin donne un souffle nouveau, invite à nous tourner vers l’avenir, à ouvrir notre cœur à l’espérance et nous donne envie de construire avec vous les relations de fraternité auxquelles Dieu nous invite. Merci d’être là, et de nous extirper de notre stupéfaction. Merci de nous réveiller et de nous appeler à la vie. Vous êtes, déjà, le centuple promis de l’Evangile !
Heureuse coïncidence du calendrier, c’est ce week-end que l’Eglise universelle entre dans une grande démarche synodale, un immense « brain storming » mondial auquel tous les diocèses du monde sont convoqués, pour repenser, à la lumière de la Sagesse et de l’Esprit, précisément la vie de l’Eglise, les relations de toutes les personnes en son sein, et son rapport avec le monde et toutes celles et tous ceux qui ne se reconnaissent pas en elle. Ce « brain storming mondial », nous y prendrons notre part dès dimanche après-midi lors de notre assemblée paroissiale. En Peuple. En communauté. Jeunes et vieux, hommes et femmes, laïcs et clercs, de Baignes, de Barbezieux et de Barret, et de toutes conditions et horizons. L’abandon de nos richesses du passé est à ce prix : celui de la parole de chacun pour construire ensemble non pas l’Eglise qui nous rassure mais l’Eglise que Dieu veut. Pour que nous apprenions, comme le chante le psaume, à nous « rassasier de l’amour de Dieu chaque matin et que nous passions nos jours dans la joie et les chants. Pour que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu », celle dont tant et tant d’êtres humains ont été privés, celle qui est offerte à tous et dont personne ne doit être exclue.
Seigneur, que ta Parole et ta Sagesse viennent faire leur œuvre de salut en nous et en ton Eglise.
Amen.
P. Benoît Lecomte
Laisser un commentaire