Homélie du 10 novembre 2024, par le P. Maxime Petit

Barbezieux - Baignes - Barret

Publié le 10 novembre 2024

Chers frères et sœurs, notre premier réflexe, lorsqu’on lit cet évangile, c’est de porter toute notre attention sur cette femme qui vient mettre son offrande dans le trésor du Temple. Une femme que la liturgie naturellement met en relation avec une autre, celle que rencontra le prophète Elie dans le premier livre des Rois. Et l’on comprend assez bien pourquoi : toutes deux sont veuves, toutes deux sont pauvres, toutes deux posent des actes héroïques. 
C’est d’ailleurs certainement ce dernier point qui nous attire le plus : l’héroïcité de leur acte d’offrande, insignifiant en apparence, mais qui en réalité, pour celui qui sait regarder avec le cœur, est un don radical. La veuve de Sarepta, comme celle du Temple de Jérusalem, dévoilent leur grandeur d’âme en faisant passer un autre avant leur propre vie. Et cela nous émerveille car nous aspirons à devenir capables nous aussi d’une telle radicalité. D’ailleurs, si on reprend les classiques de la littérature ou du cinéma, c’est bien souvent le ressort des meilleurs scénarios. Le père Goriot chez Balzac, Monseigneur Myriel chez Victor Hugo, Jack dans le film Titanic, ou encore Walt Kowalski, joué magistralement par Clint Eastwood dans le film Gran Torino. Tous ont en commun de devenir capable de tout donner, parfois jusqu’à leur propre vie pour la gloire de Dieu ou pour sauver la vie d’un autre.

Evidemment, chers frères et sœurs, je ne voudrais pas, ce matin, passer sous silence une telle héroïcité. Cependant, je trouverais cela dommage que la lumière qui jaillit de ce don ne vienne complètement occulter le deuxième acte décrit dans l’évangile de ce jour. Un acte tout aussi discret, mais que saint Marc ne manque pas de signaler : « Jésus s’était assis dans le Temple, en face de la salle du trésor, et regardait comment la foule y mettait de l’argent ».
Tranchant avec l’activité de la veuve, l’évangéliste nous présente Jésus dans l’attitude la plus passive qui soit. Il s’assied et regarde. Une attitude qui peut nous rendre un peu circonspects au premier abord, car, avouons-le, lorsque nous regardons ce que donnent les autres, il y a toujours chez nous un petit côté voyeur, pour ne pas dire jaloux. Mais bien vite, on se rend compte que le regard de Jésus n’est pas de cet ordre. Pourquoi ? Précisément parce que Jésus ne se contente pas de regarder l’apparence. Il met en lumière non pas ce que donne la main, mais le cœur qui offre ces deux malheureuses piécettes qui n’ajoutent presque rien à ce trésor du Temple. Le regard de Jésus, contrairement au nôtre, transperce l’âme : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le Trésor plus que tous les autres. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre ».
C’est la raison pour laquelle, chers frères et sœurs, nous ne devons jamais avoir peur du regard que Jésus pose sur nous. Malheureusement, la spiritualité populaire a parfois tendance à dévoyer ce regard. Combien de fois a-t-on entendu : « Attention, ne fais pas de bêtise, Dieu te voit ». Ou encore, avec un relent de justice immanente : « bien fait, c’est le petit Jésus qui t’a puni ». Or, si on lit attentivement l’évangile, il nous apparaîtra bien vite que le regard de Jésus n’est pas de cet acabit. Il est vrai que son regard montre sa colère face à ceux qui refusent qu’il guérisse un homme le jour du sabbat. Mais, reconnaissons-le, c’est un cas isolé traduisant l’injustice de cette situation précise. Bien plus souvent, le regard de Jésus se résume dans celui qu’il pose sur le jeune homme riche : « Jésus posa son regard sur lui et il l’aima ». C’est ce même regard que nous redécouvrons dans l’évangile de ce jour : un regard doux, plein de bonté et de miséricorde. 
C’est d’ailleurs, chers frères et sœurs, cette miséricorde qui nous permet de nous mettre sous le regard de Jésus dans le sacrement de réconciliation lorsqu’il nous arrive de ne pas avoir la droiture de cette pauvre veuve. Car c’est bien cette droiture que loue Jésus en sondant son cœur. Une droiture qui est opposée à celle des scribes qui aiment « les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues et les places d’honneur dans les dîners ». Là où ces derniers attendent de leurs bonnes actions un retour sur investissement, cette femme donne à voir ce qu’elle est ; son offrande reflète l’ajustement parfait entre son intention et son acte. Cette pauvre veuve n’est pas en train de faire du théâtre. Elle n’est pas en train de calculer ce que cette offrande va lui rapporter ici-bas ou même au Ciel. Elle donne parce qu’elle aime. Elle aime en donnant. Un point c’est tout. 

C’est d’ailleurs peut-être sur ce point que l’évangile de ce jour viendra peut-être titiller notre conscience en jetant sur notre vie un regard rétrospectif. Qu’attendons-nous vraiment lorsque nous posons un acte de charité ? Quelle est notre intention profonde ? Être admiré ? Recevoir des compliments d’une personne que l’on estime ? Ou est-ce gratuitement, par amour, que nous faisons le bien ?
Evidemment, en posant cette série de question, je ne voudrais surtout pas éteindre le feu de votre charité que je sais très ardent ! Mais je crois que l’évangile ne nous permet pas de passer à côté de telles questions. Attention, Jésus ne renie pas nos bonnes actions, souvent visibles de tous ! Il nous invite simplement à faire un pas de plus dans le domaine de la charité, en nous incitant à la gratuité de l’amour qu’il reconnaît dans le cœur de cette pauvre veuve.
C’est pourquoi, chers frères et sœurs, je voudrais vous proposer en ce dimanche un petit défi – que je m’engage moi aussi à faire – pour que grandisse en chacun de nous ce détachement vis-à-vis du regard des autres. Je vous propose que cette semaine, nous essayons de poser chaque jour un petit acte de charité invisible. Par invisible, je veux dire, qui ne soit pas perceptible par un autre que Jésus, comme l’offrande cette veuve qui ne fut remarquée que par lui. Pour les uns, ça peut être un acte de patience vis-à-vis d’une personne ennuyeuse ou bavarde. Pour d’autre, une prière pour une personne que l’on a du mal à aimer. Pour d’autres encore, un service discret dans la maison ou au travail. Je suis sûr que dans ce domaine, chacun aura de multiples occasions pour muscler sa charité. Le but étant de la rendre toujours plus gratuite, à l’image de celle de Dieu pour chacun d’entre nous.
Pour cela, chers frères et sœurs, demandons à l’Esprit de nous remplir de sa créativité. Laissons-le agir à travers nous et prêtons-lui nos mains, à l’exemple de cette pauvre veuve, pour que notre charité transforme le monde à la manière d’un ferment. Amen.

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