Être mené à la lumière. Atteindre la lumière. Sortir de l’obscurité pour voir. Vivre l’illumination. Voilà un thème connu de toutes les spiritualités. Point besoin d’être chrétien ou de vouloir le devenir pour entendre ces mots. Si vous tapez « atteindre l’illumination spirituelle » dans votre moteur de recherche, vous allez tomber sur des sites indouistes, bouddhistes, de yoga, de magnétismes, de mystiques, de bien-être et de méditations en tous genres. Bien loin de la révélation chrétienne et de la foi de l’Eglise. Il s’agit là d’un thème finalement commun et partagé par tant et tant de croyants de toutes sortes !
C’est pourtant ce thème qui est développé dans ce récit d’évangile. Jésus ouvre les yeux d’un aveugle de naissance, qui va désormais voir. Un aveugle a enfin accès à la lumière, et le voilà – on le comprend bien – transformé, devenu un autre homme, capable même de tenir tête aux pharisiens et enquêteurs de tous bords. Mais alors, qu’a donc de spécifique cette page d’évangile, par rapport à un récit similaire que nous pourrions imaginer dans d’autres spiritualités ?
La grande différence, c’est que la lumière que l’aveugle découvre n’est pas un phénomène mystérieux, ni une connaissance ésotérique. C’est une personne, c’est quelqu’un : Jésus. Il est, lui, la Lumière. « Je suis la lumière du monde », dit-il à ses disciples, comme il avait été présenté dès le prologue de l’évangile selon Saint Jean. « En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde » (Jn1). Rencontrer le Christ, c’est rencontrer Celui qui illumine notre monde, jusqu’en ses obscurités et ses ténèbres. Le Christ et la Lumière, c’est tout un. On pourrait critiquer cette posture prétentieuse, ou non tolérante par rapport à toutes les autres spiritualités qui trouvent leur lumière ailleurs. Mais là est la Seigneurie de Jésus, qui embrasse tout l’univers en lui, et qui se donne à tous, de façon connue ou inconnue. Lui, vrai homme et vrai Dieu, ne peut qu’être, lui seul, la pleine lumière de la vie de Dieu qui éclaire tous les hommes.
L’expérience du croyant, celle aussi des catéchumènes, est peut-être celle-là : reconnaître que Jésus est la Lumière du monde, et que toutes les autres lumières n’en sont que des reflets, plus ou moins pales, parfois même des fausses lumières qui nous plongent en fait dans les ténèbres. Le croyant – et c’est là notre expérience à tous, où que nous en soyons sur notre chemin de foi – est celle de cet aveugle dont les yeux s’ouvrent à la lumière et qui grandit alors dans la foi. C’est là aussi notre chemin de carême, ce temps au cours duquel nous cherchons à ouvrir nos yeux, ou à laisser le Seigneur ouvrir nos yeux sur l’événement que nous allons célébrer, Pâques, et sa grandeur. Nous partageons avec vous, Léa, Jade, Marie et Enzo, ce désir de grandir dans la foi et de voir la Lumière qu’est le Christ. Nous partageons avec vous la prière que nous dirons sur vous tout à l’heure : « Qu’ils soient préservés de l’erreur, du doute et de l’incroyance et conduits par une foi éclairée… donne-leur de passer des ténèbres à la lumière, et quand ils seront libres de toute domination du prince des ténèbres, de rester pour toujours des enfants de lumière. »
Mais l’Evangile nous pousse plus loin qu’une histoire de regard et de foi. Le miracle que produit Jésus sur l’homme n’est pas seulement de lui ouvrir les yeux. Il est aussi de le ressusciter, de le recréer, de le remettre debout. « Jésus cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle. » Nous lisons le geste créateur du Père tirant Adam de la terre. L’homme aveugle est recréé de la glaise, avec la salive de Jésus, comme par la terre et le baiser de Dieu mêlés. Il va pouvoir quitter sa posture de mendiant et se tenir debout, prendre la parole en « je » et non plus laisser parler ses parents, tenir sa place dans la société et même le monde religieux de l’époque. Cet homme n’a pas seulement retrouvé la vue, il a retrouvé la vie. La Lumière qu’est le Christ n’est pas seulement éclairage sur le monde, guide pour la foi, elle est expérience de résurrection, à laquelle nous sommes invités. C’est déjà Pâques, que l’homme vit. C’est, à nous aussi, notre horizon.
Cet horizon que nous a ouvert le baptême. « Autrefois, nous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ; conduisez-vous comme des enfants de lumière. » Saint Paul ne dit pas « vous êtes comme la lumière » ou « vous êtes illuminés de la lumière », mais « vous êtes lumière. » Autrement dit, vous êtes, nous sommes, par notre baptême, d’autres Christs pour ce monde. Pour notre monde, avec ses ténèbres, ses obscurités, et ses cécités.
Notre chemin de carême continue, mais nous pressentons que le but approche. L’intensité est plus grande, les paroles sont plus fortes, plus directes. La Lumière que nous voulons retrouver commence à se faire plus lumineuse…
Que nos yeux s’ouvrent, Seigneur, à ton mystère et à l’appel que tu nous lances sans cesse. Pour que nos yeux voient et que, retrouvant la vitalité de notre baptême et de ta Pâques en nous, nous devenions, par toi, Lumière du monde.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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