« Il est né le divin enfant » ! Vous parlez d’un scoop ! Hivers après hivers, noëls après noëls, nous nous rassemblons pendant la nuit du 24 décembre pour entendre les mêmes lectures, pour voir les mêmes visages… et surtout, pour chanter les mêmes chants. Et ce qui m’intrigue particulièrement cette année, c’est que malgré cette répétition, chacun d’entre nous son rôle joue à la perfection, en se laissant saisir par ce message que nous connaissons par cœur et en chantant à gorge déployée ces refrains qui ont bercé notre enfance. Eh bien chers frères et sœurs, ce soir, je voudrais que l’on fasse un pas de côté et que l’on s’interroge : POURQUOI un événement que l’on célèbre depuis 2000 ans a-t-il un tel pouvoir d’attraction ? Ou, dit autrement, POURQUOI venons-nous chaque année à l’église pour réentendre ce récit que l’on connaît par cœur ?

Oh, je ne suis pas dupe, il y a parmi nous une première catégorie de personnes qui sont là, non pas vraiment par conviction, mais pour faire plaisir à leur grand-mère qui a si passionnément préparé la dinde qui va régaler leurs papilles. Eh bien, chers amis, si vous faites partis de cette catégorie, soyez les bienvenus…
Vous êtes particulièrement importants, parce que vous nous rappelez une chose essentielle : le mystère de Noël est d’abord un mystère qui SE VIT avec d’autres. Pourquoi venons-nous à l’église le 24 décembre ? Avant tout pour y vivre une expérience de communauté, de communion avec nos proches, mais aussi, plus largement avec d’autres personnes que nous ne connaissons pas. Vous qui n’avez pas vraiment l’habitude d’abîmer les bancs d’église, je ne saurais trop vous conseiller de vous rendre ce soir auprès de la crèche. Non pas forcément pour prier, mais tout simplement pour poser votre regard sur cet enfant couché dans la mangeoire. Et découvrir que d’autres sont là aussi, irrésistiblement attirés par cet événement peu commun. Celui d’un Dieu qui ne se contente pas de se faire homme… mais petit enfant, l’être le plus fragile qui soit. Quel choix étonnant ! Le choix de la vulnérabilité, que nous avons tant de mal à accueillir au travail, dans nos familles, dans nos cercles d’amis.
Eh bien ce soir, entouré de ceux que l’on aime, au milieu de cette foule que nous connaissons à peine, sans grande conviction mais par respect d’une tradition qui vous dépasse, vous êtes là ! Et c’est déjà une chose admirable.

A vos côtés, il y en a d’autres qui ne se reconnaissent pas du tout dans cette démarche. Ils sont plutôt là parce qu’ils pensent que Noël NE PEUT ÊTRE Noël si on le coupe de son événement fondateur, la naissance de Jésus. En effet, si beaucoup viennent à la messe de minuit, c’est parce que CETTE messe – parfois la seule de l’année – leur fait du bien ; ils ont besoin de venir la vivre pour y trouver cette paix, cette joie, cette espérance qu’ils n’arrivent pas à trouver dans les autres lieux de la société. Pourquoi cela ? Je me risquerais à dire que c’est parce que, dans ce moment-là, on n’attend rien d’eux. On n’est pas dans une recherche d’efficacité, de rendement… Mais plutôt, à l’inverse, dans le don, la gratuité ; la gratuité de l’amour de Dieu. Eh bien je crois qu’il y a LÀ AUSSI un enseignement très précieux. Car si Dieu décide de se faire homme, ce n’est pas par obligation, par contrainte, pour répondre à une injonction. La preuve, c’est qu’il n’y a même pas de place pour lui dans la salle commune. Si Dieu se fait l’un de nous, c’est parce qu’il nous aime infiniment, tendrement au point de s’abaisser, de donner sa vie pour nous. Comme notre monde souffre de ce manque de gratuité, chers frères et sœurs ! Comme notre monde souffre de ne pas savoir accueillir ce don ! Et bien, vous qui êtes là parce que vous voyez la nécessité de cette gratuité, demandez ce soir à Dieu d’être les artisans de cette paix, les promoteurs de ce don dans votre lieu de vie. Cultivez cette relation qui vous unit à Jésus en priant dans le secret de votre cœur. Et répandez ce message si précieux : notre Dieu est le « Prince de la paix », celui qui donne sa vie par amour.

Enfin, je n’oublie évidemment pas que dans notre assemblée, il y a aussi ceux qui fréquentent très régulièrement cette église, qui vivent une relation intime, intense avec le Dieu Sauveur. Je crois que l’on ne mesure pas suffisamment combien le Seigneur se réjouit de votre fidélité, de votre décision de le suivre résolument sur le chemin de la sainteté.
Ce soir, vous nous rappelez à tous, y compris à nous les consacrés, combien le mystère de Noël est un mystère de salut pour aujourd’hui. Elles ne sont pas choisies au hasard, les paroles de ce cantique que nous venons de chanter : « le Sauveur que le monde attend pour tout homme est la vraie lumière. Le Sauveur que le monde attend est clarté pour tous les vivants ».

Et c’est peut-être cela, chers frères et sœurs, la raison fondamentale pour laquelle nous nous retrouvons inlassablement, années après années, à la messe de minuit. C’est parce que cette célébration n’est pas seulement le rappel d’un événement passé. Elle n’est pas non plus l’annonce d’un avenir meilleur. Mais l’accomplissement, AUJOURD’HUI, de cet acte de salut. Si Jésus s’est fait homme il y a 2000 ans, ce n’est pas pour sauver l’humanité dans sa globalité, de manière impersonnelle, mais c’est pour sauver chacun d’entre nous. « Notre Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit Dieu » disaient les Pères de l’Eglise. Je rajouterais volontiers ce soir : notre Dieu s’est fait homme pour que TU sois divinisé, pour que TU partages sa vie divine dès aujourd’hui, avant de penser à la vivre pour l’éternité.
C’est la raison pour laquelle, chers frères et sœurs, en cette nuit de Noël qui nous rassemble – croyants non pratiquants, chrétiens du dimanches ou fidèles indéfectiblement attachés au Christ – je voudrais que nous nous posions TOUS la même question : est-ce que j’attends VRAIMENT quelque chose de Dieu ? Est-ce que j’attends vraiment qu’il me sauve ? Non pas pour récompenser mes bonnes actions, pas non plus parce que je serais une personne exceptionnelle… Mais simplement parce qu’il m’aime, d’un amour inconditionnel. C’est peut-être ça, chers frères et sœurs, le cœur du mystère de Noël : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils unique, non pas pour juger le monde, mais pour que PAR LUI, le monde soit sauvé ».

Eh bien recevons ce soir cet amour au plus profond de notre cœur. Recevons ce Dieu qui s’est fait pauvre, humble, vulnérable. Pour nous sauver, non pas malgré nos pauvretés et nos vulnérabilités mais À TRAVERS elles. Et pouvoir VIVRE ainsi dès ici-bas de cet amour infini de Jésus, le Dieu-qui-sauve, qui s’est fait Emmanuel, Dieu-avec-nous. Amen.