L’on se plaindra ou on s’inquiètera, et c’est monnaie courante dans nos cultures, et c’est souvent avec raison, de tout ce qui va mal. Des crises sociale, politique, environnementale, économique, culturelle, civilisationnelle même. L’on se plaint des systèmes mis en place qui génèrent richesses et pauvretés, toujours plus grandes et éloignées l’une de l’autre. « Le peuple marchait dans les ténèbres », disait le prophète Isaïe. Et nous pouvons reconnaitre dans l’image de ce peuple, notre monde qui ne sait plus trop s’il court à sa victoire ou à sa perte. L’on surf sur la superficialité et l’artificialité, faire courir des mensonges ne risque plus rien, seul vaut ce que l’individu dit et proclame le plus fort possible dans le but d’écraser les autres voix. Et nous pressentons bien qu’il y a dans l’actualité, dans nos modes de vie, quelque chose qui ne va pas. Qui cloche. Qui est à côté de la plaque.
L’apôtre Paul disait que « la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. Elle nous apprend à renoncer aux convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété. » Autrement dit, la grâce de Dieu, par sa manifestation, nous apprend à vivre autrement, d’une autre manière que celle avec laquelle nous vivons maintenant. Nous voulons bien l’entendre, mais comment le comprendre ? Quelle est cette « grâce de Dieu manifestée pour le salut de tous » ? Et comment nous apprend-elle cette nouvelle manière de vivre « de manière raisonnable, avec justice et piété » ?
« Voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » Là, en cet enfant, en ce nouveau-né, Dieu nous dit tout. Tout ce que nous sommes à ses yeux, et tout ce dont nous avons besoin pour vivre autrement. Révolution copernicienne. Car cet enfant, né d’une femme comme vous et moi, est unique : il s’agit de Dieu lui-même. De Dieu « Tout-Puissant, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible », comme nous aimons à le réciter. C’est ce Dieu qui se manifeste, et manifeste sa grâce à nos yeux, en cet enfant. Un enfant. Dans sa puissance, Dieu aurait pu envoyer des signes plus grands, plus éclatants, plus merveilleux. Il choisi de naître d’une femme et de reposer sur la paille d’une mangeoire, fragile nouveau-né exposé à notre monde. Et les premiers témoins en seront des bergers, autrement dit des pauvres qui vivent dehors, à l’écart, avec les bêtes.
Dans cette geste, dans ce mouvement, dans ce Mystère, Dieu nous donne la clef de notre vie et de notre monde, de notre façon de vivre autrement et d’ouvrir justice, paix et espérance. Il nous donne la clef en ce bébé. Il nous donne la clef en devenant Homme. En assumant notre humanité. En épousant tout de notre condition humaine. En prenant chair. En plantant sa tente parmi nous. En se manifestant comme l’un de nous, l’un d’entre nous. La clef du changement est là, sous nos yeux. Ni dans les puissances armées, ni dans les violences physiques, verbales ou économiques, ni dans la rhétorique qui peut bien faire croire à ce qu’elle veut. Non, la clef, la révélation est là : en un petit humain fragile et dépendant. Un nourrisson. Par amour, Dieu se fait homme. Et quand par amour Dieu se fait homme, et parce que nous sommes tous fait de la même humanité, toute l’humanité en est transformée, transfigurée. Car toute l’humanité devient capable de Dieu, capable de signifier, de manifester, de révéler quelque chose de Dieu.
Je parle bien de l’humanité. Non pas de notre humanité à laquelle on aurait ajouté quelque chose de divin. Mais au contraire, de notre humanité de laquelle on a retiré tout ce qui nous déshumanise, tout ce qui nous détruit de l’intérieur, de ce qui n’est précisément pas humain. A Noël, Dieu nous révèle la vérité de notre humanité, il nous rend la plénitude de de ce que nous sommes. En devenant homme, en prenant chair, il nous fait devenir femmes et hommes vivants d’un nouveau regard, d’un nouvel esprit, capables d’inscrire de façon nouvelle et différente notre emprunte en ce monde. Il fait de nous « un peuple ardent à faire le bien », disant encore Saint Paul.
Jésus, « Dieu-sauve », est le Sauveur parce qu’il nous fait sortir de notre sommeil et de nos jérémiades. Parce qu’il ouvre une espérance en nous : si Dieu est là, avec-nous, qui sera contre nous ? Et si Dieu est cet amour libre, donné, offert et désarmé, que pourront répondre les chars, les armées et les courbes du CAC 40 ? Cet enfant est le « Prince-de-la-Paix ». Veux-tu le reconnaitre, le suivre, l’aimer, l’écouter, le contempler, pour le reconnaître en chaque visage, en chaque femme, chaque homme, chaque enfant, chaque pauvre (et les pauvretés sont si nombreuses et si variées que nous en sommes tous !). Pour reconnaître en chacun la plénitude et la beauté de son humanité qui empêche, soudainement, de mettre la main sur l’autre. Et transforme le monde.
Ne faisons pas de Noël une gentille fête folklorique et éphémère. « La grâce de Dieu s’est manifestée », « un Sauveur nous est né ». Il est là, couché dans une mangeoire, nous délivrant de ce qui nous oppresse, nous révélant la beauté de ce que nous sommes, et nous appelant à construire avec lui un monde de paix. Demain ne sera plus pareil. Joie pour tout le peuple et dans le monde entier !
Alléluia ! Amen !
P. Benoît Lecomte






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