Imaginez un pays sous occupation. Un pays où une armée étrangère est à chaque coin de rue, où le pouvoir local est à la botte des occupants, où la population n’a plus le choix de son destin. On imagine toutes les difficultés qui se présentent, tous les cas de conscience, ceux qui vont collaborer avec l’occupant, ceux qui vont entrer en résistance, les familles qui se déchirent pour telle ou telle position politique, les amis qui s’éloignent, la question de l’avenir, de ce que sera ce pays, de ce que deviendront les enfants… Faut-il fuir ? Faut-il rester ? Faut-il se battre ? Quand la paix reviendra-t-elle ?
Cette situation nous est contemporaine. Combien de pays, et nous en avons en tête, sont ainsi en proie à la violence, à la guerre, face à un avenir tellement incertain ! Cette situation est aussi celle de la Palestine, il y a 2000 ans. Les Romains occupent le pays et imposent leur loi. Certains composent avec cette situation, d’autres attendent un libérateur. Un chef de guerre, politique, militaire, qui ait du charisme, qui déplace les foules, qui encouragent ceux qui veulent rétablir l’intégrité du pays. On attend un puissant, de la lignée de David, le dernier des grands rois dans l’histoire du peuple, celui qui avait déjà, en son temps, réalisé l’unité de la nation. Il faut quelqu’un qui tienne tête à l’ennemi, qui apporte la paix par la force des armes. On attend le Messie.
Et nous pouvons avoir cette même attente, dans les crises, voire les chaos que notre monde traverse, depuis les peurs des fins de mois jusqu’à celle de la fin du monde. Alors que les repères tanguent, que l’avenir n’a jamais été aussi incertain, que les chefs d’états et de gouvernements semblent fébriles, que les risques d’explosions politique, économique, sociale ou climatique semblent grandir chaque jour, nous pouvons être à la recherche de l’homme fort ou de la femme forte, qui aurait assez de charisme et de pouvoir pour apaiser toutes les volontés de puissances qui traversent notre humanité. Une femme, un homme, inspiré, un ou une envoyé(e) du ciel.
C’est exactement ce que l’ange annonce aux bergers saisis par une grande lumière au milieu de la nuit : « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » Un bébé. Tout le contraire de la puissance attendue. Signe dérisoire, pour qui attend un Sauveur. Qu’est-ce qu’un bébé peut faire, pour sauver le monde ? Quelle puissance est donc opposée là, aux puissances des chaos et aux questions si importantes qui nous travaillent ?
Ce bébé de la crèche, est Dieu. Mystérieusement, ce qu’aucun homme, ce qu’aucun peuple n’avait imaginé, s’est produit il y a 2000 ans dans ce coin de Palestine : Dieu est venu rencontrer l’Homme en se faisant lui-même Homme, en naissant d’une femme. Dieu vient nous rencontrer en se faisant bébé, né dans une étable, couché dans une mangeoire. Et les premiers avertis ne sont pas les généraux et les puissants, mais ceux qui dorment dehors, qui sentent mauvais et qu’on regarde bizarrement : les exclus, les bergers. Ce que Dieu rejoint en premier et en totalité n’est pas l’apparence, l’argent ou le pouvoir, mais le cœur humble et fragile de l’Homme. Ce que nous célébrons cette nuit n’est pas seulement inouï, c’est aussi renversant. Dieu ne prend pas seulement visage d’homme, il prend tout de notre humanité, mais dans ce qu’elle a de plus délicat, tendre, dépendant, pauvre. Il renverse les images que nous nous faisons de lui et se présente à nous tel qu’il est. Le Sauveur n’est pas un chef d’armée, il est l’impuissant par excellence, capable uniquement d’offrir ses bras ouverts et son amour à qui le désire. C’est la puissance de Dieu. Puissance de l’abandon. Puissance du pardon. Puissance de la tendresse. Puissance de la miséricorde. Puissance désarmante s’il en est, qui fait tomber toutes les armes et qui est capable de convertir les cœurs les plus durs. Celle aussi qui ouvre à l’espérance. La venue d’un bébé ouvre notre esprit à l’avenir, et à un avenir que l’on espère beau, doux, juste. Sa venue et sa présence apportent la paix et l’espérance.
La paix, parce que nous comprenons que nous ne sommes pas obligés de jouer au plus fort pour l’emporter, mais que l’amour est bien plus fort encore, transformant toutes nos relations et toutes nos organisations. Nous comprenons que la douceur a plus d’avenir que la violence, que l’accueil porte plus de fruits que le rejet, que la vérité vaut mille fois plus que tous les mensonges. Et que cette paix retrouvée n’est pas uniquement celle d’un pays ou d’un peuple, mais la paix possible dans le cœur de chaque homme, de tous les hommes.
Habités par cette paix, nous témoignons d’une nouvelle espérance. Pas seulement d’un espoir que nous voudrions atteindre à la force de nos constructions, mais d’une espérance que nous recevons de Dieu lui-même. L’espérance de devenir, nous aussi, enfants de Dieu, enfants du même Père, dans une fraternité universelle ouverte par Jésus, dans l’amour infini de Dieu. Si Dieu se fait Homme, c’est pour que tous les Hommes puissent se découvrir capables de Dieu. Témoignons de cette espérance qui change le monde !
La douce Paix de Noël n’est pas dans nos rêves enfantins, mais là, dans cet insondable renversement, dans cette subversion : Dieu est du côté des petits davantage que des grands, pour que tous, nous n’ayons plus peur de ce qui nous rend petit, et que cette petitesse devienne notre grandeur.
Cette nuit, un Sauveur nous est né ! Peut-être pas comme nous l’attendions, mais par lui, nous sommes réellement sauvés, libérés. C’est par le bas, le très-bas de l’en-bas que Dieu vient nous relever. « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’il aime ! »
Amen.
P. Benoît Lecomte
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