Christ, roi de l’univers. Voilà qui amène à penser. A l’heure où les chefs d’états un peu partout de par le monde jouent les petits princes et semblent avides de pouvoir solitaire, où l’on peine à imposer une gouvernance mondiale, où les multilatéralismes sont remis en question, où les tensions entre nations sont des plus vives, l’on se prend à rêver d’un Christ qui, réellement, prendrait les rennes de l’univers pour imposer sa loi d’amour.
Mais ce n’est qu’un rêve. Et mal placé, par-dessus le marché. Car la royauté du Christ n’est pas de ce monde. Autrement dit, elle n’est pas à classer et ranger dans nos catégories de royautés. Elle déborde notre imaginaire et notre désir. Elle dépasse ce que nous comprenons du mot même. Pilate ne comprend pas. Comment comprendrions-nous mieux ? La volonté du Christ n’est pas de prendre un quelconque pouvoir civil, politique ou militaire. Il est trop libre pour cela. Il respecte trop ses interlocuteurs – et nous-mêmes – pour ne pas les laisser prendre leurs responsabilités. Sa royauté est ailleurs.
Mais où ?
Elle est dans le « rendre témoignage à la vérité. » Nous ne sommes guère avancés : qu’est-ce que la vérité ? Chacun aura la sienne, et se battra pour l’emporter sur l’autre. La vérité est source ou enjeu de tant de combats, de violences, de rejets. Mais alors, le Christ encouragerait-il à l’affirmation haut et fort d’un contenu de vérité qui ne laisserait aucune place à toute autre affirmation ? Nous pourrions dire que le credo est notre vérité, et que la royauté est de rendre témoignage de ce credo. Mais la vérité ne peut être réduite à un contenu, aussi sage et profond soit-il. Et s’en serait aussi fini de l’universalité à laquelle prétend cette royauté. Il nous faut chercher ailleurs. Cette vérité, nous dit Jésus, est liée à l’écoute de sa voix. La voix, ce sont des mots, des paroles, mais aussi une intonation, un style, un timbre, une intensité. On peut chercher à imiter la voix de quelqu’un, mais il n’y a pas deux voix pareilles. Alors on peut comprendre que la voix de Jésus… c’est Jésus, et sa manière de vivre, de vivre… jusqu’au bout.
Là est la vérité qui mène à une royauté universelle. La vérité du Dieu fait homme par amour, se livrant aux hommes encore par amour. Jésus est devant Pilate, ses heures sont comptées, il le sait. Il pourrait appeler des armées d’anges à son secours pour le délivrer, mais alors il ne serait plus libre de donner sa vie, il ne serait plus libre d’aimer jusqu’au bout. La vérité est dans cette liberté, cette liberté du don par amour. N’est-ce pas pour cela, qu’il est venu dans le monde ?
L’on peut comparer avec nos petits et nos grands désirs de pouvoirs. Ils sont si médiocres, face à la grandeur de l’effacement de Jésus aimant jusqu’au bout. N’est-il pas là, le roi ? Le roi des rois ? Le roi de l’univers qui, dans son abaissement, va embrasser et récapituler tout l’univers en sa personne ? Et alors, tous les êtres chanteront sa louange et sa gloire. C’est ce que nous faisons, d’ailleurs, comme par anticipation, chaque fête de Pâques et chaque dimanche, comme aujourd’hui, en l’eucharistie.
La fête liturgique de ce jour signe la fin d’une année liturgique. Comme un sommet. Ou plutôt comme ce qu’on appelle en musique un point d’orgue, c’est-à-dire un temps d’arrêt qui suspend la mesure sur une note ou un silence dont la durée peut être prolongée à volonté. La fête du Christ Roi de l’univers est un point d’orgue de tout ce que nous avons célébré tout au long de l’année, de l’itinéraire et de l’itinérance que nous avons vécus avec Jésus et l’évangile. Tout nous mène là, à cet horizon universel : la vérité de l’Homme et sa royauté qui n’est pas de ce monde. Et cette royauté n’est pas gardée jalousement par le Christ. Elle nous est donnée en partage. Comme le dit le livre de l’Apocalypse, « il a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père. » Ce qui veut dire qu’il partage avec nous cette royauté non de la domination et de l’écrasement, non de la force militaire ou politique, mais cette royauté de l’abandon et de l’amour, de la solidarité et du partage, de la bienveillance et du relèvement, cette royauté qui va jusqu’au pardon. Ne sont-ils pas grands, ces femmes et ces hommes dont on reconnaît en leurs vies qu’ils déploient ces dimensions ? Ne les prenons-nous pas pour modèles, comme s’ils partageaient la vérité du Christ avec Lui ? Et ce que nous reconnaissons chez d’autres, c’est l’appel que nous recevons, chacun d’entre nous, et nous tous assemblés en Eglise, en Corps unifié par l’Esprit Saint.
Chantons et célébrons le Christ roi de l’univers, mais pas sans entrer, nous aussi, dans ces mêmes dispositions du Christ à servir et aimer tous les hommes inconditionnellement. Ce ne serait que théâtre, si nous n’entendions pas l’appel à la conversion de nos cœurs et de nos vies. Le Christ roi de l’univers nous invite à entrer dans sa propre royauté, celle qui n’est pas de ce monde, il nous invite à suivre sa voix et à rendre témoignage dans nos actes et nos paroles à la vérité de l’Esprit de Dieu qui habite en nous.
Amen.
P. Benoît Lecomte
Homélie du 24 novembre 2024, par le P. Benoît Lecomte
Aubeterre - Chalais - BrossacPublié le 24 novembre 2024
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