Homélie du 10 novembre 2024, par le P. Benoît Lecomte

Aubeterre - Chalais - Brossac

Publié le 10 novembre 2024

La veuve de l’évangile « a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. » Geste de folie, d’inconscience diront certains. Jésus met en avant ce geste, cette folie. Sûrement se reconnait-il en cette femme, lui qui aussi, un peu plus tard, donnera tout ce qu’il possède, jusqu’à sa propre vie. Sûrement par ce zoom sur cette femme, annonce-t-il à ses disciples ce que lui-même va vivre, il leur en donne le sens, la clef. La clef de ce que développe la Lettre aux Hébreux : le Christ a tout donné, il s’est offert lui-même une fois pour toute pour enlever les péchés de la multitude. Sûrement aussi nous invite-t-il à suivre cet exemple, à tout donner, à donner tout ce que nous avons pour vivre.
Folie.
Donner un peu de temps, un peu d’argent, un peu de compétences, un peu de soi, un peu d’amour, bien sûr. Nous le faisons, généreusement même, parfois. Mais donner tout ? Ce serait le déséquilibre absolu dans nos vies. Un étudiant généreux et sympathique me demandait un jour : « Benoît, je ne sais pas comment faire. J’aime aider les autres, je passe du temps avec ceux qui ont besoin d’un coup de main, d’une oreille, d’un réconfort, mais du coup, je me perds moi-même. Je n’arrive plus à me construire personnellement, je ne prends plus de temps pour moi, je donne tout aux autres, et je ne sais plus où j’en suis. » Le Seigneur nous appellerait-il à une telle perte d’équilibre ? Y a-t-il des excès de dons de soi qui deviennent destructeurs ? Alors que j’étais tout jeune prêtre, un ami prêtre expérimenté du diocèse me dit : « c’est beau qu’en te voyant, d’autres jeunes puissent voir qu’on peut tout quitter pour le Seigneur ! » Mais je lui ai répondu que je n’avais rien quitté : ni famille (j’ai toujours ma famille), ni ami (je les ai gardé), ni passions, ni envies, ni projets. Je n’avais finalement pas donné grand-chose. Au contraire, le Seigneur m’avait saisi, avec tout ce que je suis et tout ce que j’ai. Et même si nous donnons beaucoup, nous ne donnons pas à 100%.
Alors, que comprendre de cette page d’évangile ? Ou bien sommes-nous définitivement du côté des scribes, incapables d’entrer dans la dynamique de la pauvre veuve ?
Peut-être est-il trop simpliste et trop rapide de faire de cet évangile une lecture morale : « il faut donner. » Je vous propose une autre lecture, plus christologique et ecclésiale : une lecture pascale et baptismale.
J’aime lire la dernière phrase de l’évangile en entendant le « pour » dans le sens du but à atteindre, davantage que dans le sens de ce qui est perdu. Ainsi, cette femme (et Jésus, si elle est l’image de Jésus), n’a pas donné tout ce qui lui permettait de vivre (et elle n’a plus pour horizon que la mort), mais elle a tout donné pour vivre. Dans le but de vivre. En vue de vivre. Et voilà le mystère pascal qui se dessine : comme Jésus meurt pour ressusciter, il nous faut mourir pour vivre, nous aussi, avec lui. Jésus a vécu toute sa vie et a accepté la croix pour être exalté et glorifié par le Père, dans le but de manifester la puissance de vie et de résurrection du Père.
Ainsi, l’invitation de l’évangile n’est pas d’abord ou pas uniquement une invitation morale à donner ce qu’on a – même si c’est très bien et qu’il faut le faire aussi ! –, mais à vivre pleinement son baptême, dans la confiance en Dieu. La veuve en est là de sa vie spirituelle. Les scribes, eux, perdent leur vie. Ils passent à côté, ils la contournent, ils jouent avec mais ils ne plongent pas jusqu’au bout dans la folie de l’amour de Dieu.
Peut-être ne s’agit-il pas d’abord de donner jusqu’à son dernier quignon de pain, mais d’orienter toute notre vie et tout de notre vie dans une confiance absolue au Christ. D’accepter que le Seigneur saisisse tout de nous, jusqu’à nos richesses – et nous en avons : matérielles, relationnelles, familiale, humaines, etc – et nos parts les plus obscures, dans une confiance totale en Celui qui est passé par la mort pour vivre de la résurrection, et qui est capable de tout prendre de notre existence, jusqu’à nos épreuves et toutes nos morts pour nous faire accéder à une joie aussi grande qu’inattendue. Avec tout ce que nous avons, de vivre pleinement notre baptême en étant prêtre, prophète et roi à l’image du Christ, pour et dans notre monde. D’orienter notre vie dans le sens du partage avec tous, dans le souci de la dignité et de la liberté de chacun, et d’abord de ceux qui sont éprouvés. Expérience d’Eglise, expérience de noter baptême inscrit dans l’Eglise dans le monde, ferment d’une ouverture et d’une espérance qui vont à l’encontre de bien des discours dans le monde. A cause de notre baptême, du plongeon que nous avons fait, pas seulement du bout des orteils, mais de toute notre existence saisie par le Christ.
Que cette veuve de l’évangile nous invite à plonger totalement dans la confiance de la vie avec le Christ. Que cette eucharistie, où le Christ se donne encore totalement à nous, ravive en nous la joie du don total, pour vivre pleinement en Dieu, dans la communion avec lui et avec tous les hommes.
Amen.
P. Benoît Lecomte

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