Chers frères et sœurs, au début de cette homélie, je voudrais que nous fassions un petit exercice. Fermons les yeux un instant et mettons-nous dans la peau de quelqu’un qui serait témoin d’un miracle opéré par Jésus, comme celui qui nous est raconté dans l’évangile de ce jour. Et essayons d’imaginer comment nous retranscririons la scène, ce que nous écririons pour garder la mémoire de cet événement, d’abord pour nous-mêmes, mais aussi et surtout pour les générations futures.
Silence
Evidemment, l’homélie n’est pas le moment idéal pour que chacun partage le fruit de sa réflexion. Mais, je suis prêt à parier que si nous prenions le temps de le faire, la plus grande partie d’entre nous consacrerait une partie de son récit à décrire COMMENT ce miracle s’est déroulé. Quelles furent les paroles de Jésus pour guérir cet aveugle ? Quelle fut son attitude, son regard, ses gestes ? Bref, porterait son attention sur l’acte de guérison en lui-même.
Si je vous propose de faire ce petit exercice, c’est pour que nous prenions conscience que ce n’est PAS DU TOUT ce que fait saint Marc lorsqu’il raconte la guérison de Bartimée. PAS UN MOT sur la manière dont Jésus opère cette guérison. PAS UN MOT sur les paroles ou sur les gestes qu’il pose pour opérer ce miracle. Une simple phrase fait état du changement, comme si la situation était banale : « aussitôt, l’homme retrouva la vue et il suivait Jésus sur le chemin ». Point à la ligne. Et l’évangéliste poursuit son récit comme si de rien n’était.
Je trouve, chers frères et sœurs, que cette manière de raconter un miracle n’est pas anodine. Car ce récit, ou plutôt ce silence de l’évangéliste sur le COMMENT de la guérison, attire notre attention dans une autre direction. Il nous invite à nous poser une autre question : non pas COMMENT mais POURQUOI Jésus opère-t-il cette guérison ? Une question qui serait bien vite occultée si l’évangéliste avait décrit avec précision le COMMENT du miracle. D’ailleurs, Jésus donne une réponse à cette question en une formule extrêmement ramassée : « va, ta foi t’a sauvé ».
En effet, chers frères et sœurs, à cet endroit de l’évangile, alors que Jésus sort de Jéricho et se dirige vers Jérusalem pour y vivre sa dernière Pâque, l’enjeu n’est plus de montrer qu’il est capable d’accomplir des miracles. Il a guéri de nombreux malades, il a multiplié les pains, il a chassé des démons, il a calmé la tempête. Maintenant, le défi qui s’ouvre est de montrer qu’il n’est pas un simple guérisseur, un thaumaturge de talent, mais le Sauveur de l’humanité, et plus précisément de chaque membre de cette humanité qu’il est venu rejoindre personnellement, au plus profond de son être.
Cette mise en perspective nous donne d’entrer dans une nouvelle compréhension de l’épisode biblique que nous venons d’entendre. En réalité, l’enjeu n’est pas ici de nous raconter une énième guérison, aussi extraordinaire soit-elle. Mais de nous montrer la relation que Jésus établit avec un homme en particulier, Bartimée, qui est aveugle et qui fait la manche à la sortie de Jéricho. Tout le récit est construit autour de la rencontre entre ces deux hommes. Il cherche à nous faire entrer nous aussi, par la prière, dans une RELATION avec Jésus, qui vient guérir nos infirmités et nous relever de notre misère. Et pour cela, chers frères et sœurs, je voudrais que l’on concentre notre attention sur les trois phrases prononcées par le Seigneur dans ces quelques versets.
La première est laconique. Elle n’est d’ailleurs pas directement adressée à Bartimée, mais à la foule qui met son énergie à repousser ce mendiant qui poursuit Jésus de ses cris. Jésus prend cette foule à revers pour l’obligée à s’investir dans cette relation : « appelez-le ». Cette foule, c’est certainement l’image de notre société, peut-être même de notre Eglise, qui ne se laisse pas toujours rejoindre par les cris de ses enfants et qui préfère rester tournée vers le Maître. Remarquons que Jésus ne la reprend pas avec colère. Sa stratégie est plus fine. Il l’investit dans son appel, il la fait entrer dans la relation pour qu’elle se fasse l’écho de sa Parole. Ce qu’elle fait aussitôt : « confiance, lève-toi, il t’appelle ».
La deuxième phrase de Jésus est assez différente. D’abord parce qu’il s’adresse directement à Bartimée, mais surtout parce qu’il le fait en l’interrogeant. Il lui pose en effet une question qui a de quoi nous intriguer : « que veux-tu que je fasse pour toi ? » Cela n’est-il pas évident ? Jésus est-il à ce point naïf pour ne pas savoir ce dont cet homme a besoin ? La question n’est pas là ! Et je crois que c’est très éclairant sur la manière dont Dieu agit dans le monde. Jésus ne prévoit pas, il voit. Jésus n’anticipe pas nos demandes, il les accompagne. Jésus ne choisit pas à notre place, il suscite notre liberté. Si bien qu’il ne veut surtout pas donner à Bartimée ce qu’il n’aurait pas demandé. Ce dernier a déjà peu d’espace pour exercer sa liberté, il n’a certainement pas besoin que l’on réponde à sa place, ni qu’on le réduise à sa cécité. Jésus lui laisse donc l’espace pour formuler sa demande : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Quel enseignement, chers frères et sœurs, sur la relation que Dieu veut entretenir avec nous. Alors que l’on a souvent tendance à nous morfondre sur son apparent silence à nos prières, l’évangile nous montre combien il les écoute, mais aussi combien il cherche à faire grandir notre désir pour susciter notre liberté.
Enfin, chers frères et sœurs, concluons cette homélie en regardant la dernière phrase prononcée par Jésus dans l’évangile de ce jour : « va, dit-il à Bartimée, ta foi t’a sauvé ». Bien qu’étant le point de départ de cette rencontre, ce n’est pas la misère de Bartimée qui le sauve. Ce n’est pas non plus sa persévérance ni son audace. Ce qui sauve Bartimée, c’est sa FOI. Une foi qui est un don de Dieu. Une foi qui est une réponse de CET homme qui crie sa détresse au Fils de David. Une foi qui est en définitive une relation entre deux libertés qui se rencontrent.
Je crois, chers frères et sœurs, que l’on tient là un des enseignements fondamentaux de l’évangile de ce jour. En nous invitant à la prière, Jésus nous invite surtout à la foi en lui. Car c’est cette foi qui nous sauve. Alors osons poser ce matin un véritable acte de foi en son amour. Osons croire qu’il se rend présent au milieu de nous dans sa Parole, dans son Eglise rassemblée, et de manière suréminente dans son Eucharistie. Osons à notre tour répondre à la question qu’il adresse à chacun personnellement : « que veux-tu que je fasse pour toi ? » Amen.
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