Homélie du 16 juin 2024, par le P. Maxime Petit

Aubeterre - Chalais - Brossac

Publié le 16 juin 2024

Chers frères et sœurs,

Bien souvent, les pages d’évangile choisies par l’Eglise pour les célébrations dominicales ont pour vocation de provoquer en nous un électrochoc. D’ailleurs, ce n’est pas seulement un choix de l’Eglise, c’est l’évangile lui-même qui est majoritairement constitué d’épisodes qui frappent l’oreille et le cœur. Dans bien des situations, Jésus cherche à nous secouer pour que nous sortions de notre zone de confort. Ainsi, la plupart du temps, à peine la messe terminée, nous sommes invités à nous retrousser les manches ou à nous creuser les méninges pour nous tourner résolument vers lui et porter au monde la bonne nouvelle du Salut.

Eh bien aujourd’hui, aussi étonnant que cela puisse paraître, les deux paraboles de l’évangile ont plutôt sur nous un effet apaisant et reposant. Et avouons-le, cela n’est forcément pour nous déplaire ! Car Jésus, qui d’habitude nous met en mouvement, semble nous demander aujourd’hui de nous assoir un instant pour constater que la croissance du Royaume de Dieu n’est pas de notre ressort : « Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence : nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment ». Autrement dit, aucun d’entre nous ne peut être le moteur de la croissance du Royaume ! Comme me le disait un jour une moniale assignée au potager : le jardinage nous apprend à respecter le temps de Dieu. Il ne sert à rien de tirer sur les légumes pour les faire pousser !

Jésus utilise cette même image du potager pour nous parler du Royaume de Dieu. Ce qui est à la fois apaisant et un peu enrageant… car on pourra s’activer autant qu’on le veut, nous ne serons JAMAIS les moteurs de cette croissance ! Parfois, cela peut même nous décourager lorsqu’on a mis toute son ardeur dans une œuvre pastorale qui s’avère porter peu de fruit. D’autres fois, cela nous peut nous rendre jaloux lorsque l’on voit qu’avec peu d’effort, nos voisins réussissent ce que l’on n’a mis tant d’énergie à mettre en place. Eh bien l’évangile de ce jour nous permet de n’être ni enragés, ni découragés, ni jaloux puisqu’il nous décharge de la fécondité de nos actions pastorales : que nous dormions ou nous levions, le Royaume de Dieu germe et grandit, on ne sait comment.

Cela peut un peu nous déconcerter. Jésus nous invite-t-il ce dimanche à le laisser agir seul dans le monde ? Devons-nous nous contenter de le regarder œuvrer sans nous ? Les agriculteurs et les jardiniers de notre assemblée sentent bien qu’une telle passivité ne favorise pas le rendement ! D’ailleurs, si on redouble notre attention en lisant l’évangile, on s’apercevra bien vite que ce n’est pas tout à fait ce que le Seigneur demande ! En effet, dans la parabole, encadrant cette mystérieuse croissance sur laquelle l’homme n’a aucune prise, il y a d’un côté « l’homme qui jette en terre la semence » et de l’autre celui qui « y met la faucille lorsque le temps de la moisson est arrivé ». Ainsi, loin de nous inviter à la pure inactivité, le Seigneur nous demande de coopérer à son œuvre non seulement en son commencement, mais aussi à son terme ! Car le Royaume ne se sème pas tout seul et ses fruits ne se récoltent pas sans nous ! Dieu, non parce qu’il en aurait besoin mais parce qu’il le désire profondément, nous demande d’œuvrer pour la croissance du Royaume. Il ne présente pas ici une opposition stérile entre l’œuvre de Dieu et l’œuvre de l’homme. Ce n’est pas Dieu OU l’homme dans cet évangile, mais bien plutôt Dieu ET l’homme, conjointement associés pour une œuvre divine. Mais ce que l’évangile de ce jour précise : « pas n’importe comment » ! L’homme est bien chargé d’être les mains de Dieu dans le monde, cependant, il doit à tout prix se garder de croire qu’il en est l’initiateur. Car le risque est grand de transformer le Royaume de Dieu en un royaume terrestre, à mesure humaine, qui ne porte que très peu de fruits. Contrairement à l’homme, Dieu, agit de manière discrète et souvent silencieuse. Et il obtient un résultat surnaturel. Là où l’homme pourrait faire naître une petite pousse fragile, Dieu, s’appuyant sur la plus petite des actions humaines, peut faire jaillir la vie d’une manière extraordinaire et qui dépasse nos rêves les plus fous.

Ainsi, bien loin de notre postulat de départ, l’évangile de ce jour nous invite à ne pas simplement regarder Dieu agir dans le monde. Il nous associe à sa mission comme des semeurs et des moissonneurs. Ce qui nous amène à une dernière question : qu’est-ce que cela veut dire, au juste, semer et moissonner le Royaume de Dieu ?

J’espère ne pas vous décevoir en vous disant qu’il n’y ait de réponse toute faite à cette question. Ou plutôt, il y en a de multiples ! Car il y a bien des manières de coopérer à l’œuvre de Dieu. D’ailleurs, chacun des membres de notre assemblée pourrait témoigner de la manière avec laquelle il œuvre pour la croissance du Royaume.

Cela dit, une lecture attentive de l’évangile permet tout de même d’identifier des constantes en regardant les relations qu’entretient Jésus avec ses disciples. On remarque que ces derniers sont d’abord invités à se mettre à sa SUITE avant d’être ENVOYÉS « en avant de lui dans toute ville ou localité où il allait lui-même se rendre » (Lc 10,1-5). Comme le dit saint Marc d’une manière plus concise encore quand il raconte l’appel des apôtres : Jésus « en institua douze pour qu’ils soient avec lui ET pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle » (Mc 3,14).

Semence et récolte. Vie aux côtés du Christ et annonce de l’évangile. Découverte de Dieu et évangélisation. Telles sont les deux œuvres majeures que le Seigneur demande à ses disciples d’accomplir. Il sème en nous le désir de nous approcher de lui pour qu’à notre tour, nous semions dans les cœurs la joie de se mettre à sa suite. Et nous récoltons par là la joie de l’humanité qui ne peut trouver son repos qu’en Dieu, dans la communion avec son Créateur, dans la foi en son Sauveur.

Alors, chers frères et sœurs, laissons-nous apaiser par l’évangile de ce dimanche ! Non pas parce qu’il nous inviterait à regarder Dieu agir seul dans le monde, mais précisément parce qu’il nous demande de nous investir dans SON œuvre pour y trouver NOTRE repos. Rendons grâce à Dieu de nous associer une telle mission et demandons-lui de nous remplir de sa force. Nous deviendrons ainsi des coopérateurs fidèles et toujours plus ajustés à son œuvre : le salut du monde qu’il est venu remplir de sa présence dans la Personne de Jésus-Christ, tout à la fois vrai Dieu et vrai homme ! Amen.

P. Maxime Petit

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