Serait-ce la fatigue de la fin de l’année scolaire ? L’excitation des vacances ? La chaleur un peu trop lourde ? J’ai fait un aller-retour à Paris hier. J’ai été frappé dans le train par la violence entre les gens. Invectives, insultes fusaient au moindre écart de telle ou telle personne, sans que cela soit réellement justifié, en tous cas pas avec une telle intensité. Hier, aussi, à une toute autre échelle, Joe Biden annonçait que les Etats-Unis allaient fournir des bombes à sous-munitions à l’Ukraine, malgré la crainte des dégâts possibles sur les populations civiles. Plus près de nous, notre pays peine à sortir de plusieurs jours d’émeutes. Partout, comme un accroissement de violence, de conflits, de tensions. L’on peut également les ressentir parfois jusque dans nos familles, et jusque dans notre Eglise. Mystère du cœur de l’homme, de son impatience, de sa brutalité, de sa difficulté à être à l’écoute.

Et dans le même temps, nous entendons cette Parole de Dieu aujourd’hui, qui dit l’action et le projet de Dieu : « Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un ânon… Ce roi fera disparaître les chars de guerre, les chevaux de combat, il brisera l’arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations » (Za 9). Etrange roi, si loin de nos représentations de chefs d’état ou de chefs de guerre, si loin de nos pulsions de roitelets, de petits rois du monde. Et pourtant. Nous le croyons, c’est ce roi qui est réellement victorieux, ce roi qui a le dernier mot sur toutes les violences du monde et de nos cœurs. Ce roi, qui impose la paix non par la puissance, la force, les cris, la guerre, mais par la miséricorde, le pardon, l’humilité, la pauvreté.

« Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos », continue l’évangile. L’image du joug est très évocatrice pour les auditeurs de Jésus, elle l’est peut-être moins pour nous. Le joug est cette grosse et lourde pièce de bois qui lie deux bœufs pour tirer la charrue. Quand Jésus propose de prendre sur nous son joug, il nous propose de le laisser se rendre solidaire de notre labeur, et de nous rendre, nous, solidaires de son être, de sa marche… de sa royauté. Le joug que nous propose Jésus est une invitation à nous mettre à son pas et à sa méthode : la paix, le pardon, la miséricorde, l’écoute. Il nous invite à nous atteler à lui et avec lui. Et le partage de ce joug apporte le repos. Non pas celui des vacances, du farniente et de la sieste, mais celui du cœur. Le repos de ce cœur et de ce monde tant et tant brassés et secoués par les violences et les tensions. Car l’énergie dépensée n’est plus pour détruire, mais pour construire et grandir ensemble. Voilà un beau programme de « repos » pour notre été, que l’on parte en vacances ou non.

Saint Paul, avec d’autres images, ne dit pas autre chose. « Si vous vivez selon la chair, vous allez mourir ; mais si, par l’Esprit, vous tuez les agissements de l’homme pécheur, vous vivrez. » Par « chair » et « Esprit », Paul ne désigne pas ce que nous appelons « corps » et « âme ». Il évoque plutôt deux modes de vie : « vivre selon la chair » et « vivre selon l’Esprit ». Et il nous faut choisir l’un ou l’autre mode de vie. Celui, « selon la chair », qui décide de vivre sans Dieu. Avec le risque d’être limité par les faiblesses et les fragilités humaines, par les limites du cœur de l’homme. Et d’être entraîné, tôt ou tard, à la fatigue de la violence et des tensions. Ou celui, « selon l’Esprit », qui décide de vivre avec Dieu et même en Dieu… ou plutôt qui laisse « l’Esprit de Dieu habiter en nous. » Et alors nous ne mourons plus sous le poids du fardeau, mais nous vivons dans la paix et le bonheur de la communion que Dieu nous promet.

Par notre baptême – par le baptême, Grâce-Marie – l’Esprit du Christ vient habiter en nous nous devenons comme la maison de l’Esprit de Dieu. Par le baptême, Jésus nous propose de partager son joug, de nous mettre à son pas et à son école, pour partager son style de royauté et de présence aux autres et au monde. Un style qui apporte la paix et la joie, au travers même des épreuves que nous rencontrons inévitablement, et des fatigues de nos corps et de nos esprits.

Que le temps d’été qui s’ouvre à nous, nous donne de vivre selon l’Esprit. Et que par nos paroles, nos actions, nos présences, nos engagements, notre détente, notre prière, nous devenions solidaires de ce roi qui étend « sa domination à toutes les nations », pour que règne la paix, pour que vive tout Homme.

Amen.

P. Benoît Lecomte