« Celui-ci est le roi des Juifs. » C’est à cause de ce titre que Jésus a été mis à mort. A cause de ce titre ou de cette prétention qu’on lui prêtait. Mais dans l’attente des juifs pieux de Jérusalem, jamais le roi des Juifs n’aurait eu l’attitude, les mots, les gestes de Jésus. Alors cet imposteur, pire, ce blasphémateur, gênait. La croix aura semblé le supplice approprié pour faire taire le trouble à l’ordre public et le doute religieux qui pouvait naître dans le cœur et la tête de certains.
« Celui-ci est le roi des Juifs. » Ironie de l’histoire, cette condamnation dit la vérité. Jésus est bien le Messie attendu dans toute l’histoire sainte du peuple hébreux. Mais il n’est pas que cela. Il n’est pas uniquement le roi des juifs, car il n’est pas venu pour un seul peuple de la terre, mais pour tous les peuples, et pour tous les hommes. Et par ses bras étendus sur la croix, il embrasse toute l’humanité, de tous les temps et de tous les lieux, et même tout l’univers. Il n’a pas donné sa vie seulement pour quelques-uns, mais pour tous, et « pour la multitude », entendrons-nous tout à l’heure. Il est celui qui ouvre les portes du Ciel en premier à un malfaiteur, un pécheur, un coupable. Seul un roi peut ouvrir les portes d’un royaume. Et ce roi est bien là, en croix.
Mais cette croix est passage. « Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel », annonce Saint Paul. Paradoxalement, alors que la croix de Jésus semble être un échec de sa mission, l’arrêt définitif de son « travail », elle devient le lieu de l’accomplissement et de la réalisation du dessin du Père. Par la croix, la royauté de Jésus n’est pas tue, elle est manifestée. Une royauté qui dépasse tout ce qui nous est imaginable, parce qu’elle est la réalisation du désir tapi au creux de nos cœurs, silencieusement : « la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel », une paix universelle, radicale, définitive, un immense « Shalom ». La mise en croix ne tue pas Jésus, elle lui donne de révéler en acte ce pour quoi le Fils de Dieu est venu parmi les hommes. Elle lui donne de faire entrer tous les hommes et toute la création dans une unique communion, jusqu’à une communion cosmique, qui prend en elle tout le cosmos. Sa royauté n’est pas de ce monde, non seulement parce qu’elle n’est pas avec les conceptions mondaines de la royauté – de ces rois qui ont des gardes, des tours et des armées – mais aussi parce que ce monde, fût-il aux dimensions de l’univers, est encore trop petit pour la royauté du Christ. « En lui, tout fut créé, dans le ciel et sur la terre. Les être visibles et invisibles, Puissances, Principautés, Souverainetés, Dominations, tout est créé par lui et pour lui. » Plus grand et plus fort encore, même la mort n’a aucun pouvoir sur lui. Il est « le premier-né d’entre les morts », rappelle encore Saint Paul. Il n’est pas seulement le roi, il est l’origine et le terme, l’alpha et l’oméga, au principe et à la fin. Sa royauté est celle de la vie. Et c’est aussi sa signature : la vie est signature du passage et de la royauté du Christ.
Nous pourrions encore continuer longtemps à contempler cette royauté du Christ, et je vous encourage à le faire, car il y a là un véritable sujet de méditation. Mais la Parole de Dieu nous dit encore autre chose qu’il nous faut entendre et recevoir, parce que cela ne peut nous laisser tranquille. Saint Paul nous dit : « Rendez grâce à Dieu le Père, qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière. Nous arrachant au pouvoir des ténèbres, il nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé : en lui nous avons la rédemption, le pardon des péchés. » Nous ne sommes pas que des contemplatifs d’un roi désigné comme tel au pied de la croix, les bras grands ouverts. Nous sommes « rendus capables » de participer à cette royauté, parce que sauvés par le Roi. Notre identité même, nous désigne comme cohéritiers de cette Royauté. Comme pour David dans l’ancien testament a reçu l’onction pour devenir roi, nous avons, nous aussi, reçu cette onction au jour de notre baptême, et nous sommes, nous aussi, devenus rois. Non pas à la place du Christ, mais par lui, avec lui et en lui. Nous avons été marqués par l’onction sainte pour exercer, dans ce monde qui est le nôtre aujourd’hui, la royauté du Christ. Pas seulement symboliquement, mais réellement. C’est-à-dire pour, comme lui, ouvrir grand nos bras et nos cœurs, et devenir artisans de paix, de communion, de réconciliation, témoins de résurrection et de vie tout autour de nous et en nous, qui avons été sauvés. Nous avons été faits rois pour, avec le Christ, annoncer aux pécheurs, comme Jésus le fait avec le criminel à ses côtés, qu’ils sont aimés de Dieu et attendus dans son royaume, non à cause de leurs péchés, mais par la grâce de sa miséricorde et de son amour qui transforme le cœur de l’homme et le réconcilie avec toute la création.
Fêter la royauté du Christ nous engage donc, ou du moins nous réveille dans la radicalité de notre vocation et de notre situation de disciples. Cette fête ne nous laisse pas au pied de la croix, mais nous envoie dans les incertitudes du monde pour annoncer et témoigner que le seul Roi a déjà vaincu le mal et la mort, et qu’en lui tout est déjà réconcilié.
Accueillons donc, en cette eucharistie, la paix que nous offre le Roi de l’univers. Et en sortant de cette Eglise, soyons-en les artisans et les témoins joyeux.
Amen.
P. Benoît Lecomte






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