Chers frères et sœurs,
Comme vous en avez maintenant l’habitude, je voudrais commencer cette homélie par une question : comment imaginez-vous la vie chrétienne au 1er siècle, c’est-à-dire dans les années qui ont suivi la mort et la résurrection de Jésus ?
Si je vous pose cette question c’est parce qu’assez naturellement, alors que nous sommes plongés dans une époque où le christianisme a du mal à trouver sa place dans l’espace public, nous avons tendance à idéaliser cette période. On s’en fait une image d’Epinal, en se référant à ce qui nous est décrit dans les Actes des Apôtres. On imagine une communauté fervente, unie, partageant ses biens, recevant l’Esprit Saint pour répandre la Bonne nouvelle. Alors, on n’est pas complètement dupes. On sait bien aussi que c’était une période de persécution. Saint Etienne, saint Pierre ou encore saint Paul ont été emprisonnés et martyrisés… mais au fond, cela ne fait que renforcer notre idéalisation. Car, dans notre esprit, cela fait d’eux des héros, des évangélisateurs qui ont été au bout de leur mission au point de donner leur vie.
Alors ce matin, loin de moi la volonté de vous donner une « crise de foi ». Car dans cette projection, tout n’est pas faux ! Loin de là ! Si les apôtres n’avaient pas eu en eux le feu de l’Esprit, nous ne serions pas aujourd’hui dans cette église pour en parler.
Cependant, je voudrais ajouter un peu de complexité dans notre vision du 1er siècle en vous racontant un épisode dramatique qui a eu lieu en 70 à Jérusalem, c’est-à-dire environ 35 ans après la mort de Jésus. Non pas pour faire de l’érudition, mais parce que cela apparait essentiel pour comprendre les textes que nous venons d’entendre.
On le sait bien, avant même la naissance de Jésus, la Judée était sous domination romaine. L’évangile nous en parle suffisamment. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’il y a toujours eu au sein du peuple juif, des turbulences, des refus de coopérer. Si bien qu’en 66, suite au refus d’un sacrifice païen devant une synagogue – dont je vous passe les détails –, il y eut une rébellion conduite par des factions juives contre l’envahisseur romain.
Evidemment l’affaire ne s’est pas arrêtée là et l’empire a voulu remettre de l’ordre. Il y eut un siège à Jérusalem puis une brèche dans le rempart et des combats violents à l’intérieur de la ville. Evidemment, ce sont les Romains, bien plus forts que les Juifs, qui ont remporté la bataille. Mais – et c’est là que cela commence à nous intéresser – ils ne se sont pas contentés d’écraser la rébellion. Ils ont quasiment rasé la ville et en particulier le Temple de Jérusalem dont il ne reste aujourd’hui que le mur occidental (le fameux « Mur des Lamentations »).
Pourquoi est-ce que je vous raconte tout cela ce matin, chers frères et sœurs. Eh bien parce que cet événement a eu un impact considérable aussi bien sur les Juifs que sur les chrétiens. Car cela les a obligés à repenser la manière concrète de vivre leur foi. En effet, les juifs convertis ne pouvaient plus pratiquer leur vie chrétienne en lien avec la liturgie du Temple de Jérusalem. Ils ne pouvaient plus faire une sorte d’assemblage entre leurs pratiques religieuses anciennes et leur adhésion nouvelle à l’Eglise. La destruction du Temple les a obligés à une rupture existentielle, à un renouveau spirituel et religieux qui a conduit la première génération chrétienne à relire la vie de Jésus à la lumière de cet événement.
Comme vous vous en doutez, les interprétations d’un tel événement ont été variées. D’ailleurs, la Parole de Dieu de ce jour s’en fait l’écho en nous donnant deux relectures différentes.
D’abord, regardons celle de saint Jean. Avec tout ce que je viens de rappeler, les versets que nous venons d’entendre prennent une autre couleur. « Détruisez ce sanctuaire, dit Jésus, et en trois jours je le relèverai ». Lorsque l’apôtre écrit son évangile, le Temple de Jérusalem est déjà détruit… Il y a donc une forme d’ironie lorsqu’il rappelle cette parole des juifs : « il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire et toi, en trois jours tu le relèverais ! » Ce n’est pas de la moquerie, c’est de l’inconsistance ! Car il n’a pas fallu bien longtemps aux Romains pour tout détruire. Mais, ce qui est intéressant, c’est le décalage qu’il opère à partir de là. Car Jésus, lui, a construit un Temple bien plus solide. Saint Jean le précise de façon laconique : il « parlait du sanctuaire de son corps »… Son interprétation est lumineuse ! Le sanctuaire n’est plus un lieu physique. Ce n’est plus un espace délimité par des murs et des parvis. Le sanctuaire, désormais, c’est le corps même de Jésus. Ce corps qui a été humilié, blessé, transpercé, mais qui est désormais glorieux depuis la résurrection.
Cette première interprétation est vraiment profonde. Elle a le mérite de recentrer la perspective sur la personne de Jésus. Cependant, nous découvrons qu’elle n’est pas la seule voie possible. Une seconde nous est présentée par saint Paul dans l’épître aux Corinthiens, écrite quant à elle, quelques années avant la destruction du Temple. Bien sûr, Jésus y tient encore une place centrale, il est la « pierre de fondation ». Cependant, la théologie paulinienne est plus inclusive. Jésus n’est pas à lui seul le sanctuaire ! C’est nous, chrétiens, qui sommes identifiés à cette construction. « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu ? » interroge l’apôtre avant de poursuivre : « si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous ». Comme membres de l’Eglise, NOUS sommes le sanctuaire de Dieu fondé sur le Christ.
Comment ? Eh bien je crois que c’est une lecture spirituelle de l’Ancien Testament, à la lumière du Nouveau, qui nous en donne la clé. « Sous le seuil de la maison, écrit Ezéchiel, de l’eau jaillissait vers l’Orient ». Et il continue : « en tout lieu où parviendra le torrent, tous les animaux pourront vivre et foisonner. Le poisson sera très abondant, car cette eau assainit tout ce qu’elle pénètre, et la vie apparaît en tout lieu où arrive le torrent ». Comme chrétiens, comment ne pas y voir une préfiguration du baptême dans lequel nous avons été plongés avec le Christ ; comment ne pas y voir le côté ouvert de Jésus sur la Croix d’où jaillissent le sang et l’eau ; comment ne pas y voir, enfin, le lieu de notre naissance spirituelle pour que nous formions ensemble le nouveau sanctuaire de Dieu.
C’est bien là, me semble-t-il, le sens de cette fête que nous célébrons aujourd’hui. Alors que nous sommes dans l’église saint-Matthias de Barbezieux, nous célébrons avec toutes les autres communautés chrétiennes de la terre, la dédicace de Saint-Jean-de-Latran, la cathédrale de Rome, l’église-mère de toutes les églises puisqu’elle est la cathédrale du Pape. C’est bien cette unité de l’Eglise qui est célébrée, cette unité de pierres vivantes appelées à s’assembler pour ne former qu’une seule construction. Unité autour du Christ. Unité autour du Pape, successeur de Pierre, dont la mission est précisément d’assurer aujourd’hui la communion de l’ensemble du sanctuaire que nous formons.
Alors, frères et sœurs, ce matin, je vous propose de prier ensemble. Prions d’abord pour le Pape Léon afin qu’il puisse assurer cette mission qui lui est confiée. Mais prions aussi pour notre communauté, pour l’Eglise que nous formons dans notre paroisse afin que nous puissions, nous aussi, mener à bien jusqu’au bout notre mission. Une mission d’unité, de communion, seule capable de faire rayonner l’amour de Dieu dans tous les interstices de notre monde. Amen.






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