En 2015, dans un album destiné aux enfants, Anne-Sophie Rahm composait un chant que nous connaissons par cœur : « Regardez l’humilité de Dieu ». A l’époque, j’imagine qu’elle n’était pas consciente qu’en quelques mois, sa composition allait devenir un incontournable du répertoire des paroisses françaises. A mon avis, la raison d’un tel succès est simple : sa musique douce et méditative, profonde et sensible se prête parfaitement au temps de la communion au cours duquel les fidèles s’avancent pour recevoir le Corps du Christ. Et sur ce point, je n’ai évidemment rien à redire. Car j’ose l’avouer, moi aussi, ce chant me touche…
Cependant, ceux qui ont l’habitude de préparer avec moi les chants de la messe savent que j’ai un gros problème avec ce chant. Non pas un problème musical… ce n’est pas une question de goût. Mais un problème théologique que je vais expliquer brièvement.
Je vous rassure, cela n’a rien à voir avec le refrain que je trouve particulièrement beau : « regardez l’humilité de Dieu » répétons-nous à plusieurs reprises. C’est très bien vu ! Car l’Eucharistie est un acte d’humilité. Lui, le Dieu éternel et tout-puissant, SE DONNE. Il SE LIVRE entre nos mains dans son Eucharistie. Quelle humilité ! Une humilité que l’on peut louer et admirer, et c’est la raison pour laquelle le refrain se conclut par ces mots : « et faites-lui l’hommage de vos cœurs ».
Non, mon problème se trouve dans le premier couplet que je me permets de rappeler :« Admirable grandeur, étonnante bonté, du maître de l’univers qui s’humilie pour nous au point de se cacher dans une petite hostie de pain ».
Vous voyez la problématique, chers frères et sœurs ? Peut-être que je peux la rendre plus sensible en posant une question : dans l’Eucharistie, qu’est-ce que Jésus est en train de faire ? Que veut-il manifester en se donnant ainsi aux fidèles ? Je suis d’accord pour dire qu’il pose un acte d’humilité, mais je ne suis pas du tout à l’aise pour dire qu’il le fait en « se cachant », et encore moins en se cachant « dans» une hostie. Au contraire, chers frères et sœurs, selon moi, lui, le Dieu éternel, le Dieu invisible par nature, SE MONTRE sous les espèces du pain et du vin. Il SE DONNE A VOIR par l’hostie. Sinon, à quoi bon, l’élever au moment de la consécration.
Alors je sais bien, chers frères et sœurs, que certains grands saints comme sainte Thérèse de Lisieux, saint Jean-Marie Vianney ou encore saint Padre Pio, ont utilisé le verbe « cacher » pour dire le mystère de la présence réelle du Seigneur dans l’Eucharistie. Et je ne veux surtout pas vous laisser penser que je me mets à la hauteur de ces grands saints. Mais précisément, leur expérience diffère de la nôtre en ce sens qu’elle est une expérience mystique. Une expérience indescriptible par nature et qui requiert donc la poésie pour exprimer ce qui a été contemplé… et avouons-le, ce n’est pas ce que nous cherchons à décrire par les paroles de ce chant… C’est la raison pour laquelle, selon moi, ce terme « caché » mérite d’être explicité, voire nuancé, pour ne pas nous entraîner sur une fausse piste.
En effet, je crois qu’il est plus que jamais nécessaire de rappeler que Jésus ne joue pas à cache-cache dans l’Eucharistie. Il ne se transforme pas en un objet comme on le voit parfois dans des films science-fiction. Sous l’apparence du pain, Jésus SE DONNE A VOIR. Il SE LIVRE en nourriture. Et quand je dis cela, je ne veux surtout pas minimiser le fait que ce n’est pas habituel comme mode de présence… ce qu’essaye de transcrire le verbe « cacher ». D’ailleurs, notons que le saint curé d’Ars double tout de suite ce dernier du verbe « voiler ». La petite Thérèse, quant à elle, le déploie en parlant d’un « enveloppement », ce qui équilibre peut-être le propos.
Sous l’apparence du pain, c’est le Corps de Jésus qui est vraiment là. Sous l’apparence du vin, c’est le sang de Jésus qui est vraiment là, substantiellement comme disent les théologiens. Chers enfants, qui allez faire ce matin votre première communion, vous n’allez pas recevoir du pain dans lequel Jésus se cache. Vous allez recevoir Jésus lui-même qui se REND PRESENT de cette manière bien particulière, en se donnant à manger, sous l’apparence du pain et du vin.
C’est d’ailleurs le deuxième point que je voudrais aborder ce matin. Car ce n’est pas pour rien que le pain et le vin ont été choisis par Jésus pour signifier sa présence. Ce n’est pas du tout anodin qu’il ait choisi des matières qui se mangent. Il ne s’est pas rendu présent dans un caillou pour que l’on peut mettre dans sa poche afin de l’avoir toujours à nos côtés. Il ne s’est pas présenté non plus comme un lieu dans lequel nous pourrions entrer pour prier son Père. Jésus s’est offert dans du pain et du vin pour que nous puissions le manger et le boire. L’Eucharistie est faite avant tout pour être mangée. Et c’est d’ailleurs l’acte que vous allons poser dans quelques instants. Nous allons manger Jésus-Eucharistie qui va peu à peu se dissoudre dans notre corps pour nous apporter la force dont nous avons besoin. Mieux qu’un caillou qui serait dans notre poche, Jésus est présent en nous d’une manière intérieure. Mieux qu’un temple dans lequel prier, Jésus entre au plus profond de notre être corporel pour faire de nous un temple.
Et cela m’amène au dernier point que je voudrais aborder ce matin. Car si en communiant, nous devenons ce temple, c’est parce que Jésus a un grand projet pour chacun d’entre nous. Il fait de nous les pierres vivantes qui constituent ENSEMBLE le temple de Dieu. Nous sommes ces portes-Christ chargés d’apporter Jésus au monde. Et je crois que c’est la raison pour laquelle il a choisi de se donner à travers du pain et du vin. En effet, le pain est la mise en commun de milliers de grains de blé, le vin est le rassemblement de milliers de grains de raisin qui ont été pétris, pressés ensemble pour ne former plus qu’un. Comme nous, chers frères et sœurs, qui constituons ce Peuple de Dieu, ces pierres vivantes d’un même temple, rassemblés pour vivre et annoncer ENSEMBLE la Bonne nouvelle du salut. Là encore, Jésus ne se cache pas en nous. Par nous, Jésus SE REND VISIBLE au monde. Mieux, il SE DONNE au monde dans cette Eglise.
Alors merci à vous, qui faites ce matin votre première communion. Merci de nous donner aujourd’hui l’exemple et le courage pour nous aussi, recevoir Jésus dans son Eucharistie. Nous redécouvrons ce matin que c’est un vrai honneur mais aussi une vraie exigence. Car, loin de se cacher en nous, Jésus veut se donner à voir à travers nous : Peuple eucharistique envoyé proclamer ensemble la Bonne nouvelle au monde entier. Amen.
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