Chers frères et sœurs,
Cette semaine, en préparant les différentes célébrations qui soutiennent notre plongée dans le mystère pascal, nous avons été amenés avec le Père Benoît à réfléchir à une question matérielle : où allions-nous déposer le Saint-Sacrement à l’issue de l’Office de la Passion ? Car, comme vous le savez, à l’issue de cette célébration, le tabernacle restera vide. Un vide qui signifie le temps de l’attente. Mieux, qui signifie le temps de l’absence. L’époux nous a été enlevé… et l’église, habituellement temple de sa présence devient pour quelques heures le signe de son absence, de sa descente aux enfers.
Eh bien cette question toute matérielle m’a amené à une question plus profonde : au fond, pourquoi avons-nous besoin de communier pendant l’Office de la Passion ? N’est-ce pas précisément le temps où nous pleurons son absence ? La vénération de la Croix n’est-elle pas suffisante ? La procession vers le Crucifié n’est-elle pas un signe plus explicite ? Alors pourquoi l’Eglise nous demande-t-elle alors de remettre une nappe sur l’autel, de rallumer des cierges et de distribuer aux fidèles le Corps du Seigneur ?
Oh, j’aurais bien évidemment pu vous donner une réponse théologique toute faite… Mais, pour ne rien vous cacher, cette réponse ne me satisfaisait pas ! Croyez-moi si vous le voulez, mais c’est la méditation des textes qui nous sont donnés en ce jour qui m’ont permis d’en comprendre plus pleinement le sens et la profondeur… C’est pourquoi ma réponse ne sera pas directement théologique mais plus spirituelle à partir de la Parole de Dieu.
Le premier verset qui m’a marqué se trouve au cœur de la Passion, au moment où l’on emmène Jésus de chez Caïphe jusqu’au Prétoire, c’est-à-dire chez Pilate. Dans ce récit qui accumule les événements, où Jésus est trimballé comme un vulgaire colis, l’évangéliste fait une pause et prend la peine de préciser : [MAIS] « ceux qui avaient amené [Jésus] n’entrèrent pas dans le Prétoire, pour éviter une souillure et pouvoir manger l’agneau pascal ». Derrière ce refus d’entrer, il y a évidemment une question religieuse. Selon les préceptes de la Loi, pour pouvoir célébrer l’entrée dans la Pâque, les Juifs doivent rester purs et donc éviter tout contact avec le paganisme. Mais derrière cette lecture littérale, je crois qu’il y a un sens christologique. Car, nous le savons, l’agneau pascal n’est pas pour nous une bête que l’on égorge pour se rappeler la sortie d’Egypte. L’Agneau pascal, l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, c’est Jésus lui-même qui verse son sang pour sauver la multitude.
Ainsi, je crois que chacun d’entre nous est invité aujourd’hui à ne pas rester sur le seuil du Prétoire avec les accusateurs de Jésus. Nous qui reconnaissons qu’il est le Sauveur du monde, nous sommes invités à entrer avec lui pour l’entendre dire à nouveau le sens de sa mission : « Moi, dit-il au gouverneur, je suis né, je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix ».
C’est à cela, chers frères et sœurs, que nous participons lorsque nous communion en ce Vendredi Saint. Nous reconnaissons que Jésus est l’Agneau de Dieu. Nous reconnaissons qu’il est le Sauveur venu non pas pour un peuple, mais pour l’ensemble de l’humanité. Pour que tous nous puissions « appartenir à la vérité » en entendant sa voix. La voix qui crie du haut de la croix : « tout est accompli ». La voix qui s’éteint et qui remet l’esprit.
C’est d’ailleurs juste après sa mort que se trouve le second verset qui peut nous faire entrer dans une compréhension plus profonde de cette communion du Vendredi Saint : « quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats, avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt en sortit du sang et de l’eau ». Comment ne pas voir dans ce transpercement une préfiguration de l’Eucharistie ? Les Pères de l’Eglise ne s’y sont pas trompés : la communion au Corps du Christ est une participation à son sacrifice. Dans l’Eucharistie, c’est comme si chacun d’entre nous était rendu contemporain du sacrifice de la Croix. C’est comme si chacun était spirituellement transporté au pied de cette Croix pour y contempler le Christ qui donne sa vie par amour. Evidemment, cela ne suffit pas ! Car c’est bien le Corps glorieux que nous recevons en communion, mais cela ne doit pas enlever à l’Eucharistie sa dimension sacrificielle.
C’est pourquoi tout à l’heure, en recevant ce Corps, humble, petit, qui se donne à nous, chacun pourra prier avec les mots du prophète Isaïe que nous entendions tout à l’heure : « il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort et il a été compté avec les pécheurs alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs ». Autres christs depuis notre baptême, porteurs du Christ qui vient demeurer en nous, nous lui demandons d’intercéder pour les pécheurs que nous sommes et pour le monde qu’il est venu par son sacrifice rédempteur. Car, comme le dit encore Isaïe : « c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris ».
L’Eucharistie, chers frères et sœurs, n’est pas un cadeau que nous recevons en récompense de nos bonnes actions. Elle n’est pas le rassemblement d’un club de purs au milieu d’un monde de pourris. L’Eucharistie est bien plutôt la communion de ceux qui veulent résolument avancer dans la vie parfaite mais qui savent qu’ils en sont incapables par leurs propres forces. En ce sens, elle est simultanément la reconnaissance de notre indignité et le gage de notre salut. Elle est le mémorial de ce sacrifice d’amour sur la Croix par lequel Jésus vient demeurer au plus profond de nous pour nous donner un avant-goût de sa victoire sur la mort. Du côté du Christ s’écoule le Sang rédempteur, Sang de l’alliance nouvelle et éternelle, versé pour nous et pour la multitude en rémission des péchés. Le Crucifié meurt pour nous offrir la vie. C’est pourquoi la communion de ce jour nous donne d’entrer dans cette vie avec lui.
C’est dans cet esprit, chers frères et sœurs, que nous sommes invités à nous avancer à deux reprises en ce jour. D’abord pour déposer au pied de la croix tous ces fardeaux qui nous empêchent d’être pleinement libres. Mais aussi pour recevoir le Corps du Christ qui, par sa mort, nous donne la vie. Alors, heureux les invités au repas des noces de l’Agneau, voici l’Agneau de Dieu qui meurt par amour sur la Croix. Heureux les invités au repas du Seigneur, voici l’Agneau de Dieu qui livre sa vie pour nous racheter du péché. Amen.
lisonmichel@gmail.com
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