Enfermés. Voilà peut-être ce qu’il y a à la fois de pire et de commun pour chacun de nous. Enfermés dans nos idées, dans nos addictions, dans nos présupposés, dans nos préjugés, dans le rythme effréné des jours, dans l’actualité assommante, dans notre culpabilité, dans notre péché. Enfermés dans nos tombeaux, dans notre mort, dans l’obscurité de nos vies qui n’en sont plus. Enfermés dans nos esclavages, qui sont autant de privations de notre liberté que de lieux confortables auxquels nous nous sommes habitués. Enfermés dans les lois, les normes – même religieuses -, les règles, la morale bien-pensante. Enfermés dans des images : les nôtres et celles que nous pensons que les autres ont de nous. Enfermés dans le passé.
Enfermés comme le peuple hébreu l’était en Egypte du temps du pharaon, comme l’était Paul dans ce qu’il appelle désormais des « ordures », comme l’est cette femme prise en flagrant délit d’adultère, dans le cercle que dessinent autour d’elle les hommes apriori respectables du village et dans leurs regards.
Enfermés : telle est notre condition, qu’on le veuille ou non. Et nous nous accommodons de ces enfermements. Nous les nions, les acceptons, faisons avec.
Mais c’est sans compter sur l’appel et la puissance de Dieu. Dieu ne nous laisse pas tranquille dans ces enfermements. Il est le Dieu de l’ouverture, du tombeau vide, de la libération : celle d’Egypte, celle de Pâques, celle du cœur qui vient rejoindre chacun de nous.
« Le Seigneur dit : « Ne faites plus mémoire des événements passés, ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? Oui, je vais faire passer un chemin dans le désert, des fleuves dans les lieux arides. » Rappelez-vous, dit-il en substance au peuple hébreu, rappelez-vous de l’événement de la libération avec Moïse, du passage de la mer rouge à pieds secs. Dieu ne supporte pas que nous soyons enfermés. Dieu ne supporte pas l’enfermement ni pour lui, ni pour nous. « Oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus », clame Saint Paul, qui dit avoir été « saisi par le Christ » et « sa puissance de résurrection ». Lui, le persécuteur des disciples du Christ, a été libéré de sa haine et de sa violence pour devenir héraut de l’Evangile et de la Bonne Nouvelle. La puissance de Dieu l’a arraché des ténèbres de son cœur pour l’amener à la lumière de l’espérance et de l’amour. Car rien n’est impossible à Dieu.
La page d’Evangile ne nous raconte pas une autre histoire. « Moi non plus je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. » Miséricorde absolue du Père et du Fils qui ne rabaisse pas le pécheur mais lui ouvre un avenir en libérant sa conscience de ce qui l’inquiète et en faisant preuve d’une confiance extrême.
N’est-ce pas cela, l’œuvre de puissance de Dieu, qui n’accepte jamais que nous soyons enfermés ou que nous nous enfermions nous-mêmes dans quoi que ce soit, mais qui désir que notre cœur soit libre et léger pour aimer passionnément ?
Chemin de carême, chemin de libération. Nos efforts, notre volonté de vivre ce chemin de conversion trouve là tout son sens et son but : entrer dans cette expérience de libération du Père, entrer dans l’événement de sa Pâques. Comme disait encore Saint Paul : « connaître le Christ, éprouver sa puissance de résurrection », regarder vers l’avant pour, passés par les souffrances de sa mort, communier à sa résurrection.
Chemin de carême que nous allons pouvoir vivre de façon particulière cette semaine, et que nous pouvons vivre à chaque fois que nous célébrons le sacrement du pardon et de la réconciliation, à chaque fois que nous nous confessons.
Que l’on s’entende sur ce sacrement si souvent mal compris. S’il s’agissait de regarder sa noirceur, son péché, de s’étaler sur l’obscurité et l’animalité qui nous habitent, il serait un lieu malsain qu’il faudrait fuir à tout prix. Mais il est au contraire lieu de libération, parce que nous ne devons pas partir de nous-mêmes, de notre péché et de nos enfermements ou de tout ce qui nous enferme, mais de Dieu lui-même, de sa Parole, de sa grâce, de sa lumière, de son invitation à nous rapprocher de lui, à le connaître mieux et à nous laisser faire par sa Puissance toute gracieuse. Regardez le Christ, avec la femme de l’Evangile. Ce qu’il fait avec elle, il le fait à chacun de nous lorsque nous lui demandons son Esprit pour pardonner nos péchés. Non pas nos listes de mauvaises actions ou mauvaises pensées savamment apprises par cœur et que nous relatons parfois avec distance, mais ce qui attriste profondément notre conscience et notre cœur, ce qui nous empêche d’être vraiment libres et aimants.
Mercredi soir à Barbezieux, samedi matin à Montmoreau, samedi après-midi à Chalais, nous vivrons des célébrations pénitentielles communautaires, qui nous donneront de nous porter les uns et les autres avec ce désir profond inscrit en chacun de nous d’être délivrés, sauvés par Dieu. Ces rendez-vous, inscrits quelques jours avant Pâques, nous invitent à faire l’expérience qu’ont vécue le peuple hébreu, Paul ou la femme adultère. Expérience pascale puisque libératrice, salvifique, nous transformant de l’intérieur de nous-mêmes et réparant le Corps ecclésial blessé par le péché de chacun. Et à ne plus regarder le passé, mais l’avenir, à courir joyeusement et résolument, le cœur léger, dans la Puissance de Dieu.
Que ce sacrement, que nous sommes invités à vivre, nous ouvrent à l’expérience de la résurrection de Jésus, unique sauveur et libérateur. Et qu’il fasse de nous non pas des gens parfaits, mais des disciples joyeux de se savoir aimés inconditionnellement de Dieu et des témoins vivants de la miséricorde infinie du Père.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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