« Carême. » 40. Comme les 40 ans de traversée du désert du peuple juif, le temps de l’Exode, de l’Egypte en Terre Promise. La première lecture, le livre du Deutéronome, fait mémoire liturgiquement de cette libération d’Egypte. Le Seigneur a entendu les cris de détresse de son Peuple, et l’a sauvé. Tel est le but de Dieu : libérer son peuple, nous libérer, nous rendre libres. Et le récit laisse entendre un contexte liturgique d’action de grâce pendant lequel on apporte les offrandes, les prémices des récoltes, fruits de cette Terre de bénédiction sur laquelle le Peuple a pris résidence. Il y a dans ces paroles la reconnaissance de la puissance et de l’action du Seigneur, comme une profession de foi en Celui qui a guidé son Peuple jusqu’à la liberté.

40. Comme les 40 jours de Jésus passés au désert. L’Evangile raconte cette période où Jésus est en proie à toutes les tentations. Et on le voit résister à chacune d’elles, ne se laissant ni éblouir par les promesses du diable, par les pouvoirs miroités, ni se laisser berner ou enfermer par ces tentations. Jésus est libre et reste libre. Libre dans sa fidélité, dans sa confiance en Dieu, enraciné dans la Parole de Dieu par laquelle il déjoue toutes les paroles du Tentateur.
Et comme pour lier ces deux récits, la lettre de Paul articule la Parole de Dieu, la foi et la libération : « Si de ta bouche, tu affirmes que Jésus est Seigneur, si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé. Car c’est avec le cœur que l’on croit pour devenir juste, c’est avec la bouche que l’on affirme sa foi pour parvenir au salut. » Il y a un lien étroit entre la proximité avec la Parole de Dieu, la profession de foi et le salut de Dieu offert et mis en œuvre dans le cœur de l’homme, ce salut qui est libération.

Ces trois textes se répondent et éclairent notre chemin de carême en donnant tout son sens à ce « temps favorable ».
Il est un temps pour laisser le Seigneur nous libérer de tous nos esclavages, de tout ce qui nous tient, nous retient, nous maintient en esclavage. Et chacun connaît les siens ! Ceux qui empêchent d’être pleinement nous-mêmes, d’être en pleine vérité avec les autres, avec le Seigneur et avec soi-même, de nous déployer totalement. Ces habitudes, ces pensées, ces penchants, ces mensonges, ces éloignements de l’amour de Dieu et de nous-mêmes. La première étape étant sûrement de les repérer, d’en prendre conscience, de les regarder en face, lucidement. « Laissez-vous réconcilier avec le Christ », entendions-nous lors de la messe des cendres mercredi. On pourrait dire aussi : « laissez-vous libérer de toutes ces chaines par le Christ. » Le carême est un temps de libération du cœur, pour que la profondeur du cœur irradie toute notre existence. Il nous faut accepter de nous désarmer, de laisser tomber toutes nos résistances, d’entrer comme Jésus et avec lui dans ce désert, ce lieu d’aridité et de rencontre face à face avec Dieu, pour le laisser faire.

Le carême est un temps non seulement pour laisser le Seigneur nous libérer, mais aussi pour grandir dans la liberté, celle qui nous fait résister à toutes les tentations, celle qui nous fait devenir des fils et des filles de Dieu comme le Christ et à sa suite. Une liberté telle que même la pierre du tombeau n’a plus aucun effet sur nous. Un temps pendant lequel non seulement nous voulons laisser le Seigneur agir en lui laissant toute la place, mais aussi pendant lequel nous voulons engager toute notre force et notre volonté pour grandir en enfants de Dieu. C’est le sens des « efforts » de carême que nous avons pu décider de faire pendant ces 40 jours. Ils sont la manifestation de notre volonté à grandir en liberté intérieure et à résister à toutes les manipulations du mal.
Ces textes nous disent encore que pour vivre cette libération, il nous faut nous enraciner dans la confiance en Dieu et tenir ferme dans sa Parole. Il n’y a finalement pas d’autre moyen que la Parole de Dieu, et en réponse à cette Parole, notre profession de foi, l’adhésion de notre cœur à cette Parole et notre confiance en Dieu. Notre carême est donc cet apprentissage de la liberté que Dieu nous donne, par l’accueil permanent de sa Parole.

Voilà notre programme pour ces 40 jours. Programme personnel, dans le secret de la vie de chacun, mais que nous allons aussi vivre en communauté chrétienne. Chaque dimanche, pour nous rencontrer plus fraternellement, nous partagerons un verre de l’amitié à la fin de la messe. Mais nous serons aussi invités à créer des petites fraternités, avec des gens proches de chez nous, ou au contraire en faisant le choix de se rencontrer de communautés locales plus éloignées. Des petites fraternités pour partager la Parole de Dieu (celle du jour, ou celle du dimanche précédent ou du dimanche suivant). Autour d’un repas ou d’une tasse de thé, nous nourrir ensemble de la Parole de Dieu qui nous libère et nous assure contre les tentations. Enfin, c’est dans cet esprit que nous prendrons tous ensemble un temps de récollection, le dimanche 23 mars prochain. Pour nous entrainer ensemble à cette libération par Dieu, pour grandir ensemble dans cette liberté.
Entrons avec joie dans ce temps de carême prometteur, qui déjà nous ouvre à la grande liberté de Pâques.
Amen.
P. Benoît Lecomte