A l’assemblée plénière des évêques : le cri de d’un prêtre abusé, Jean-Luc Souveton.
« C’est par un mail du 19 octobre que nous avons été invités à cette assemblée pour être entendus sur la manière dont nous – les victimes – recevons le rapport de la Ciase.
Et nous voici 5 victimes devant vous. 5 seulement pour faire écho au 330 000 évoquées dans le rapport. Pourquoi un nombre si faible ? L’une des victimes invitée ce jour écrit : « Indépendamment du fait que l’invitation est arrivée trop tard pour modifier mon emploi du temps professionnel, il m’apparait impossible de répondre à une invitation de la part de personnes qui sur le terrain local diocésain ont manifesté ces derniers temps à l’égard des victimes un profond mépris et j’en ai fait personnellement les frais ».
Une invitation tardive et une sensation de mépris !
Une invitation tardive… Comment expliquer ce manque d’anticipation ? La date de parution du rapport était connue de longue date et la tenue de cette assemblée aussi. Il n’était donc pas prévue, initialement, d’accorder beaucoup de temps à cette publication ni d’associer une présence significative de victimes et de laïcs aux travaux de l’assemblée. Tout semble s’improviser au jour le jour dans la plus grande impréparation.Quel est le déclic qui vous a conduit tout d’un coup à bouleverser le programme à la dernière minute et à nous inviter ? Les chiffres révélés, très supérieurs à ceux envisagés ? Alors, combien de milliers de victimes fallait-il pour vous décider à faire quelque chose si le chiffre de 10 000 initialement annoncé ne méritait pas que vous y consacriez un temps conséquent ? Est-ce la prise de conscience de l’écœurement, de la colère, de la tristesse et du désir de changement exprimés par bien des fidèles qui se sont manifestés par la création de collectifs et d’associations après le 5 octobre ?
Je ne cesse de m’interroger. Pourquoi cette inertie, ce retard à l’allumage, cette procrastination alors que de multiples signaux qui pour le coup n’étaient pas faibles indiquaient depuis des mois l’énormité du problème à traiter ? Pouviez-vous sincèrement envisager et croire que la remise du rapport allait tourner une page et non ouvrir un processus laborieux, exigeant et crucial ?
Une fois encore l’image renvoyée est celle d’une assemblée qui fonctionne, sur ce sujet, de façon réactionnelle, sous la pression, dans l’évitement des questions qui fâchent, ne les abordant que lorsqu’elle ne peut vraiment plus y échapper, incapable d’être proactive au sens d’anticiper les attentes et de prendre l’initiative d’aborder ce qui doit l’être en créant les conditions de la possibilité de vrais échanges et d’une présence représentative de tous les partenaires nécessaires à un tel travail. Impression que vous avancez toujours à reculons dans ce dossier qui plombe l’Église depuis des décennies. Vous attendez d’être rattrapés par les évènements pour réagir ! C’est lamentable, déplorable, pathétique.
Une invitation tardive, une sensation de mépris, mais aussi un manque de représentativité des victimes invitées ! Je rejoins pleinement les propos de Stéphane Joulain cité par La Vie qui évoque un nécessaire travail de « collaboration avec toutes les victimes, tous ceux qui les représentent et pas seulement certains groupes, afin que personne ne se sente mis de côté. »
C’est l’une des raisons du refus d’un certain nombre de victimes de participer à cette assemblée. Elles ne se sentent pas représentatives de la masse de toutes celles qui se sont désormais manifestés au travers du rapport de la Ciase. Il n’est pas normal qu’un seul groupe de moins de 15 personnes ait été sollicité et que ce soit sur les membres de ce groupe que repose la responsabilité de coopter chacun une autre victime pour étoffer leur nombre au sein de cette assemblée comme vous nous l’avez proposé. Les associations de victimes sont désormais vos interlocuteurs, nous ne sommes plus seulement « des victimes à écouter » mais des acteurs avec qui travailler, dans la suite du travail de la Ciase.
J’ai choisi de venir car il me semble important de vous dire cela directement et de ne pas laisser à votre seule interprétation les raisons d’une telle absence. Comme l’exprime un ami qui a choisi de ne pas être là : « Ce n’est pas un refus de cheminement avec les évêques mais pas dans les conditions actuelles ».
C’est dans la presse que j’ai appris la présence attendue de victimes, avant même de recevoir et de lire le mail d’invitation… Je l’ai vécu comme du mépris et comme la continuité d’une non prise en considération réelle des victimes et de la réalité de leurs vies. Ils ne sont pas nombreux celles et ceux qui peuvent se permettre de se libérer une semaine au dernier moment. Les laïcs, victimes ou pas, ont des contraintes professionnelles et familiales. Elles sont très souvent au service du Christ et de son Église, ce qui n’implique pas qu’elles soient à votre disposition.
La manifestation d’un mépris… ne passons pas trop vite sur cette expérience personnelle évoquée il y a quelques instants qui est une des raisons de l’absence de cette personne. Elle est commune à bien des victimes. Le mépris c’est ce que j’ai ressenti le 30 décembre dernier lors d’un entretien en tête à tête sidérant avec une autorité ecclésiastique où il a comparé les victimes a « des chiens qui passent leur temps à lécher leurs plaies plutôt qu’à se soigner et à guérir ».
Moi : « Vous voulez dire que je suis ce matin devant vous comme un chien en train de lécher ses plaies »?
Lui : « Non ! Non ! Ce n’est pas de vous que je veux parler ».
J’ai quitté l’entretien après quelques autres déclarations aussi fines de mon interlocuteur sur les journalistes et les psychothérapeutes.
Des propos plus récents tenus par un évêque dans La Croix ont suscité de vives réactions. Je cite : « Une autre résistance peut s’exprimer lorsque l’on perçoit que des personnes semblent enfermées dans les violences qu’elles ont subies, leur vie paraissant parfois n’être mesurée que par ceci, un peu comme si la poursuite de leur vie et de leur histoire, ce qu’elles pourront construire, voire l’oubli des traumatismes étaient une infidélité à leur souffrance, un déni de justice pour elles comme pour d’autres victimes ».
Propos qui ont amené un lecteur à rappeler que les victimes ne se complaisent pas dans leur souffrance et à un autre qu’a « votre niveau de responsabilité il m’apparait important de maitriser ou d’avoir une compréhension suffisante de ce qu’est un traumatisme suite à une violence » et qui termine en soulignant : « Il y a eu trop d’amateurisme dans l’Église qui ont eu des conséquences désastreuses ».
J’entends encore dans la bouche de l’un de vous : « on cherche comment vous “calmer” ». Cela lui a échappé, mais c’est très révélateur. Nous n’avons pas besoin d’être calmés, nous ne sommes pas des enfants capricieux. Nous sommes des adultes qui avons dû faire un immense travail sur nous-mêmes, parce que nous avons été des enfants ou des adultes maltraités, trahis dans la confiance accordée à des prêtres, trahis par l’Église qui a sciemment minoré et caché les faits et prit le parti du salut des agresseurs au détriment de notre accueil et de notre accompagnement. Ces maltraitances se poursuivent encore trop souvent au sein de l’institution, à travers des propos et des attitudes qui manquent de considération pour les victimes.
Par de telles attitudes, on discute de la gestion de la crise, de la sauvegarde de l’Institution, de la recevabilité de la parole des victimes – comme une humiliation de plus – et pendant ce temps-là, les conditions mêmes des abus sexuels se maintiennent. Permettez-moi de reprendre à ce sujet cette parole de l’Évangile : « Vous filtrez le moucheron, et vous avalez le chameau ».
Mépris ou déconsidération encore, lorsque les travaux et les propositions élaborés par des victimes sont complètement ignorés. Il y a eu le rapport de 2017 de La Parole Libérée, repris et complété en 2019 par Foi et Résilience… rapports envoyés à tous les évêques. Travaux qui n’ont jamais eu de retour… même pas d’accusé de réception dans la plupart des cas…
La liste pourrait s’allonger… C’est dans ce contexte que je reçois le rapport de la Ciase comme l’expression de la vraie considération qui nous a été accordée, considération de notre « savoir unique [3]» pour reprendre une expression de M. Sauvé, considération de nos exigences formulées depuis longtemps et soutenues par différents acteurs, souvent laïcs, de la vie de l’Église, considération de nos attentes concrètement mises en forme dans 45 recommandations. Finalement la Ciase nous a offert ce que vous n’avez pas su, pas voulu, nous donner : la considération que nous méritions et dont nous avions besoin. Constat cruel pour « l’experte en humanité » qui sur ce sujet aurait bien besoin de se former. Il est vrai que l’on ne sort pas facilement de ce qui a longtemps prévalu : « se protéger en tant qu’institution [4]» et des comportements qui en découlent : « une indifférence complète et même cruelle à l’égard des personnes ayant subi des agressions [5]».
Des personnes victimes dont je fais partie n’ont pourtant pas cessé de vouloir être partenaire et rêvaient de co-construire avec vous. Vous nous avez répondu, je cite : « On a entendu votre demande d’être partenaires. Nous avons un groupe de travail qui se réunit à fréquence régulière et certaines de nos réunions sont avec vous. On n’est pas rentré au départ dans une démarche de co-construction. On est dans une démarche d’écoute, d’évolution de notre réflexion, en fonction de vos réactions mais on n’a pas prévu de construire quelque chose avec vous, ni validé par vous »…
On n’a pas prévu de construire quelque chose avec vous, ni validé par vous.
C’est dur à entendre et à digérer. Cette position n’a jamais été démentie officiellement. Il ne faut donc pas s’étonner de l’absence des victimes aujourd’hui. Le manque de considération, le refus de vraiment construire quelque chose avec nous sur lequel nous puissions être pleinement d’accord me semblent des raisons suffisantes pour expliquer une absence massive. Les quelques victimes directement invitées n’avaient pas envie que leur présence puisse être perçue comme une validation de décisions ou de choix sur lesquels elles n’avaient de toute façon aucune prise. Elles n’avaient pas envie de passer pour des collaboratrices naïves aux yeux de la masse de toutes celles qui n’étaient pas ici invitées ni même représentées.
Nul doute pour moi que leur posture n’ait été encore renforcée par ces mots prononcés par un évêque dans La Croix : « Le rapport Sauvé doit-être reçu pour ce qu’il est et ce qu’il dit : il propose, et c’est ainsi que chacun doit l’entendre[6] ». Faut-il entendre un prolongement de votre posture de refus de construire quelque chose avec nous ? C’est une question. Car, à minima, le rapport fait plus que proposer, il recommande.
Mes attentes, puisque c’est la question que vous me posez cette après-midi, vous les connaissez parfaitement. Elles sont exprimées tout au long du texte et plus particulièrement dans les 45 recommandations du rapport final de la Ciase qui est, lui, le fruit d’un vrai travail d’écoute des victimes par des « femmes et des hommes connus pour leurs compétences et leur impartialité, de toutes opinions et confessions ».[7]
Ce que je valide, ce à quoi je peux adhérer, c’est à ce rapport qu’un ami, victime lui aussi, décrit comme « l’ultime cri que nous tachons de faire parvenir aux instances dirigeantes […] Il faut donc, écrit-il, une réponse à la hauteur de la situation, une réponse publique, et non un nouvel « entre soi » des évêques devant quelques victimes qui ne sont plus et ne se sentent pas représentatives de la masse de toutes celles qui se sont désormais manifestées au travers du rapport […] Nos attentes, insiste-t-il, sont exprimées noir sur blanc dans 45 préconisations élaborées à partir du témoignage des victimes ! Faut-il vraiment que les évêques n’aient pas compris cela pour qu’ils nous demandent de venir leur redire “nos attentes” ».
→ DOSSIER. Rapport Sauvé, les 45 recommandations de la Ciase à la loupe
Mes attentes c’est que soient mises en œuvre ces recommandations dans les délais les plus brefs et plus particulièrement certaines d’entre elles :
Que soit reconnue et officiellement prononcée la responsabilité de l’Église selon les recommandations n° 23 à 25 du rapport final de la Ciase ;
Que les dispositions de justice et d’enquête soient immédiatement respectées et appliquées en tous lieux selon les recommandations n°27 à 29, 42 et 43 ;
Qu’un engagement de réparation du préjudice aux victimes soit affirmé selon les recommandations n° 31 à 33.
Les travaux attendus ne se résument pas à ces choix prioritaires mais bien à l’ensemble des 45 recommandations qui portent notamment sur le respect des lois de la République, la réforme de la gouvernance de l’Église et du code de droit canonique, l’indépendance et le professionnalisme des instances d’accueil, de lutte et de prévention, sur la formation, les audits et les exigences de résultats.
J’attends, parce que cela s’impose, qu’une collaboration beaucoup plus large soit mise en place, sans que ne soit faite de distinction entre tel ou tel interlocuteur, par égard à la diversité d’origine, de conditions et de convictions des 330 000 victimes estimées de clercs et laïcs au service de l’Église en France.
Enfin, j’attends de vous que vous acceptiez de travailler à l’élaboration d’une feuille de route détaillant les modalités et le calendrier de mise en œuvre des recommandations du rapport de la Ciase, afin d’en assurer le suivi de la mise en œuvre effective. Votre réponse sera le signe tangible de votre réelle volonté de passer de la parole aux actes et ce sont ces derniers mots qui contiennent la totalité de mes attentes : que nous passions enfin de la parole aux actes. »
2 réponses sur « Le cri de Jean-Luc Souveton à l’assemblée des évêques à Lourdes »
Merci à votre diocèse d’avoir partagé l’intégralité de ce message fort sur votre site internet.
pour la gouvernance, revenir à la base de l’Evangile :
vous n’avez qu’un seul maître,
vous n’avez qu’un seul père,
nous sommes tous égaux
comme enfants de Dieu ….
pas de domination de quelques uns
sur les autres