On apporte Jésus, nouveau-né, au Temple. Le but est simple, et s’inscrit dans la longue tradition juive que Joseph et Marie respectent religieusement : le premier né doit être consacré au Seigneur. Jésus ne fait pas exception. Tout Fils de Dieu qu’il soit, il emprunte le chemin des hommes, de tous les hommes. Il prend place dans la longue histoire de ce peuple juif auquel il appartient, en juste descendant de la lignée de David. Et l’Eglise a choisi ce jour pour en faire la fête de tous les consacrés, de toutes les femmes et tous les hommes qui ont consacré leur vie à Dieu, qui se sont donnés non dans un temple mais plus souvent dans une église, pour faire la volonté de Dieu, avec sa grâce. Il y a similitude entre le geste de Marie et Joseph qui présentent leur enfant à Dieu, et celles et ceux qui se présentent eux-mêmes, avec toute leur vie, au Seigneur.
Un premier élément de l’évangile attire notre attention. C’est un bébé, Jésus, qui est au centre de la scène. Mais il est entouré de ses deux parents, et l’on voit deux vieillards intervenir : Syméon et Anne, l’un venant au temple pour prier, l’autre ne le quittant pas et ayant voué sa vie à Dieu. L’évangile nous présente trois générations, toutes trois attirées par la prière au temple, par l’amitié et l’intimité avec Dieu, toutes trois trouvant leur joie dans cette consécration, chacune la vivant à sa manière. Je trouve que ces trois générations rejoignent la diversité de notre assemblée ce matin et de l’assemblée de toute l’Eglise à travers le monde, de tous les disciples à la fois dispersés et unis : comme un appel, ou un rappel de notre consécration au Seigneur par notre baptême, comme un rappel que cette consécration ne concerne pas seulement quelques-uns, mais bien tous, de toutes les générations, et jamais les uns sans les autres. Invitation à nous accueillir les uns les autres avec nos histoires si différentes, mais ô combien enrichissantes pour peu que nous les partagions. Ces trois générations dans l’évangile nous invitent à une certaine fraternité. Fraternité liée à notre consécration commune par le baptême.
Deuxième éléments : il y a dans cette page d’Evangile, de l’ancien et du nouveau. De l’ancien à quitter et du nouveau à accueillir. L’ancien, ce n’est pas Syméon, ni Anne. L’ancien, c’est le Temple. « Détruisez-le, et en trois jours je le relèverai ! » clamera Jésus lors du passage où il chasse à coups de fouet les marchands du Temple. Pas tant parce qu’ils mêlent argent et religion, que parce qu’ils continuent de promouvoir des sacrifices, ce d’où Dieu veut que nous sortions : « C’est la miséricorde que je veux, et non les sacrifices » (Osée 6,6). Et les disciples témoins de la scène, de comprendre que « le Temple dont il parlait, c’était son corps » (Jn 2, 21). Le vieux Simon l’a déjà compris : ses yeux ont vu la nouveauté de Dieu, il peut désormais s’en aller en paix. Il a compris que rien ne resterait des tableaux et des belles pierres du Temple de Jérusalem, et que l’essentiel n’était pas là. Mais bien dans cet enfant, Lumière des nations, Lumière pour tous les peuples. Lumière née de la Lumière, dirons-nous tout à l’heure dans le credo. Et dont les lumières que nous avons portées au début de cette célébration sont le signe. Et si nous ne comprenons pas dès le début de la vie de Jésus que le temps du Temple et de l’assignation de Dieu à résidence est terminé, l’évangile nous rattrapera à la fin, lorsqu’à la mort de Jésus, le rideau du Temple se déchire. De Temple de pierre, il n’y a plus.
Qu’on ne s’y trompe donc pas. Sous des apparences de tradition religieuse respectée (et l’intention de Marie et Joseph est juste !), l’évangile provoque à un renversement fondamental. Désormais, c’est lui, Jésus, à qui nous nous présentons et à qui nous nous consacrons. « Ce n’est plus ni à Jérusalem ni sur cette montagne, mais en esprit et en vérité que nous devons adorer Dieu », dira-t-il à la Samaritaine au bord du puits (Jn 4).
Faisons un pas de plus. Le Temple de Dieu, le nouveau Temple inauguré par le Christ, est le corps de Jésus. Et Paul écrira : « Le temple de Dieu est sacré, et le temple, c’est vous » (1 Co 3, 17). Autrement dit, Dieu n’a plus de Temple pour habiter parmi les hommes. Il a désormais un corps, et ce corps, c’est nous. L’Eglise. L’Eglise dans sa vocation initiale et dans son but, dans l’appel qu’elle a reçu du Seigneur. L’Eglise consacrée au Seigneur, et qui se reconnait dans le partage du pain. Dieu a déserté les sanctuaires faits de mains d’hommes, pour habiter le corps de son Fils jusqu’à sa chair donnée en nourriture pour que nous devenions ce Corps, son Corps. Il n’est plus de sacrifice à offrir dans un temple, puisque celui de Jésus est définitif. Il n’y a plus que nos vies à offrir, dans l’offrande de nous-mêmes à l’amour et la miséricorde de Dieu.
C’est cela que nous allons vivre et que nous voulons réfléchir ensemble cet après-midi lors de notre assemblée paroissiale. Le projet pastoral de notre paroisse, que nous voulons actualiser, n’est pas une grille programmatique, un projet quinquennal, un tableau de bord à se donner pour respecter des objectifs que nous nous serions fixés. Il est l’expression, la mise en acte, la concrétisation en notre monde – en l’occurrence en nos communes, en notre territoire, en notre temps – de notre identité la plus profonde : celle d’être consacrés au Seigneur, celle de vouloir nous offrir, par amour de Dieu et des hommes, pour être signes et témoins de l’amour de Dieu pour chacun.
Que la Lumière du Christ brille en nos cœurs et sur nos visages, pour que le monde soit illuminé de cette Lumière !
Amen.
P. Benoît Lecomte