Depuis la nuit des temps, de génération en génération, on transmettait l’attente, on prophétisait la naissance, on annonçait la promesse. Elle est là, maintenant. Elle prend réalité et chair, encore mystérieusement cachée dans le ventre de Marie, mais elle est là. Un temps nouveau est déjà en germe. Non seulement la naissance d’un bébé, d’un petit enfant, mais la naissance d’une ère nouvelle. L’ancienne alliance s’en va, la nouvelle apparaît. L’attente se termine et la promesse se réalise. Marie « a cru en l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur » et cette parole prend corps. Nouvelle incroyable, révélée dans une joie indescriptible, à la fois sereine et pleine d’allégresse, dans la rencontre de ces deux femmes, Elisabeth et Marie, et de leurs deux bébés, Jean et Jésus.
C’est bien le récit d’une rencontre qui nous donne d’accueillir aujourd’hui cette Bonne Nouvelle qui a changé l’histoire. Une rencontre toute simple, éminemment ordinaire de deux femmes enceintes, de deux cousines s’accompagnant mutuellement dans leur grossesse. Pour avoir eu il y a quelques années et à plusieurs reprises deux de mes sœurs enceintes à quelques mois d’écarts, je peux imaginer – et vous aussi – les échanges qu’auront Marie et Elisabeth réunies dans la maison de Zacharie. Une rencontre ordinaire nous donne de saisir quelque chose de l’extraordinaire qui se joue là. La Révélation de la venue de Dieu en notre monde ne fait pas d’éclat, ne s’annonce pas à grand renfort d’effets spéciaux, mais dans la joie discrète et le secret d’une rencontre.
La rencontre comme lieu de la révélation de la venue de Dieu en notre monde. Une incarnation, déjà. Voilà qui peut nourrir notre méditation et notre art de vivre en disciples du Christ. Notre Dieu est le Dieu des rencontres qui ne se dit que dans les rencontres. Jusqu’à cette fête de Noël où Dieu lui-même vient nous rencontrer dans la chair de notre chair, dans l’expérience humaine qui est la nôtre. Et il se révèle chaque jour à nous et prend corps dans les milles rencontres de notre quotidien. « La Présence de Dieu s’atteste toujours sous forme d’incarnation », écrivait le théologien Maurice Zundel. « Il s’agit toujours d’un événement qui s’accomplit dans l’homme (et où Dieu, d’une certaine façon, se manifeste toujours). L’incarnation est le chemin normal de la manifestation de Dieu car Dieu ne peut agir dans cet Univers qu’en y devenant un événement, et nous le reconnaissons incontestablement nous-mêmes à l’intérieur de nous-mêmes dans la mesure de notre libération. » Encore faut-il donc ouvrir le cœur, les yeux, être à l’écoute. A l’écoute de nos entrailles, recevant la nouveauté de ce qu’apporte l’autre, comme l’enfant a tressaillit en Elisabeth à la salutation de Marie portant Jésus en elle. Et Elisabeth a su être à l’écoute de ce tressaillement. Il y a tant et tant de rencontres que nous vivons dans la précipitation de nos rythmes de vie, dans la somme des choses que nous avons à faire, dans la superficialité de ceux qui pensent plus important à réaliser au lieu d’être là, présent au présent. Comment vivons-nous les rencontres au fil de nos journées ? Avec les membres de nos familles, avec les collègues de travail, avec les amis et toutes ces relations furtives parce que d’abord fonctionnelles ? Et si Dieu nous donnait rendez-vous précisément dans toutes ces rencontres ? Et s’il voulait se révéler à nous dans le mot discret de tel ou tel ou dans la présence de tel autre ?
Nous avons ouvert les mardis matin et les week-ends d’avent notre chalet de Noël, pour y vivre, précisément, des rencontres. Ce ne sont pas des rendez-vous anodins : ils sont autant de moments où nous pouvons laisser Dieu venir à notre rencontre, ou nous pouvons laisser Dieu advenir à nous-mêmes, et tressaillir d’allégresse à la présence de l’autre qui vient à nous. Notre chalet de Noël n’est pas qu’un lieu de convivialité ou de publicité paroissiale, il est un lieu théologique et théologal où Dieu se dit à travers les rencontres vécues, les paroles échangées, l’accueil mutuel des uns et des autres. Un lieu où Dieu s’incarne.
Nous préparons aussi peut-être les jours à venir, les rassemblements familiaux, les menus de réveillon, l’organisation de l’accueil. Nous allons nous offrir des cadeaux, faire la fête, être heureux de nous retrouver, aussi en pensant à celles et ceux pour qui la nuit et le jour de Noël seront encore plus froids et plus longs que les nuits et les jours précédents. Qu’en sera-t-il de la qualité de notre présence, de la qualité de nos rencontres ? De notre attention à l’intérieur de nous-mêmes, où Dieu vient se révéler à nous par la qualité de l’écoute des autres et de leur présence ? Saurons-nous nous réjouir de la bonne nouvelle qu’apporte l’autre, parce que dans sa vieillesse il est porteur de vie, parce que dans sa jeunesse sa fécondité est joyeuse, parce qu’ensemble, jeunes et vieux, nous portons un avenir à accueillir et à construire, sans nostalgie, à l’écoute de ce qui prend corps en nos entrailles ?
« Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps », fait dire au Christ la Lettre aux Hébreux. Armel aussi a pris corps, petit d’homme appelé par Dieu à grandir dans l’amour pour faire de tout son être un élan de vie. Par ton baptême, Armel, Dieu prend corps en toi, il vient assumer toute ton existence, bien au-delà de ce que nous pouvons en voir, jusqu’à te faire participer à sa Pâque, afin que tu deviennes un autre Christ pour ce monde qui est le tien, et que tu aimes à l’infini. Pour que par toi, tout homme puisse rencontrer le Christ, Jésus. Grandis dans la confiance et l’Esprit Saint pour vivre cette mission avec toute l’Eglise. Car nous aussi, chacun de nous est un corps en lequel Dieu cherche à s’incarner et à se révéler. Mystère de Noël que nous attendons dans nos crèches et aussi en nous-mêmes, en notre intériorité la plus intime. Comme Elisabeth et Marie. Dieu vient, en toi, en l’autre, en chacune de nos rencontres, au creux de nos entrailles. Ouvrons-nous à sa présence, à son incarnation en nous, pour le monde.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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