« Ce qui compte, c’est d’être une création nouvelle ». Il me semble que la clef de lecture de la Parole de Dieu qui nous est offerte ce matin se trouve dans ces mots de Saint Paul : « Frères et sœurs, ce qui compte, c’est d’être une création nouvelle. » Être une création nouvelle… qu’est-ce à dire ? Ces mots méritent qu’on s’y attarde. D’où vient cet état de « création nouvelle », et quelles en sont les conséquences ?
Le monde va mal, la terre suffoque, la création est déboussolée, l’humanité sans dessus-dessous semble par bien des aspects courir à sa perte. Il ne nous faut pas longtemps pour nous plaindre, désespérer, broyer du noir, voire chercher des responsables et des coupables. Il y a bien quelques événements heureux qui nous arrachent momentanément à la sinistrose : un bac en poche, un mariage dans la famille, une fête de baptême comme ce matin pour Lilirose, un événement sportif qui nous fait oublier tout le reste autour. Mais il suffit que le week-end se termine pour retomber dans la grisaille des informations qui nous viennent du monde.
Dans la première lecture, au temps d’Isaïe, la situation n’est pas brillante : le peuple juif connaît l’Exil, il a été déporté, exclu de sa terre et vit à Babylone. Isaïe annonce pourtant des temps de paix, de joie et d’allégresse : « Réjouissez-vous ! Exultez ! Soyez plein d’allégresse ! Vous verrez, votre cœur se réjouira ! » D’où vient donc cette joie, alors qu’objectivement, tout va mal ? Le psalmiste répond : « Il changea la mer en terre ferme ; ils passèrent le fleuve à pied sec. De là, cette joie qu’il nous donne. Il règne à jamais par sa puissance. » Il y a dans le souvenir des Hébreux ce moment où Dieu a libéré son peuple de l’esclavage en Egypte en ouvrant la Mer Rouge. Il y a dans le cœur des juifs l’espérance que Dieu continuera toujours de délivrer son peuple de ce qui l’opprime, l’enferme, le tue.
Cette espérance est réalisée d’une manière définitive et universelle par la mort et la résurrection de Jésus. Par sa Pâques, il renouvelle, puissance infinie, cet épisode de la Mer Rouge, non plus pour un peuple et pour une terre, mais pour tous les hommes et pour la vie éternelle. Avec la mort et la résurrection de Jésus, notre vie n’est plus soumise à la mort, elle est libérée de cette peur et de cette fin. Et nous devenons « une création nouvelle », dans le Christ. Lilirose, c’est cela, l’événement que tu vis ce matin, cette Pâques du Christ à laquelle tu participes désormais, et dont tu vis, pour être « une création nouvelle ». Alors, l’espérance d’Israël est réalisée, accomplie. Et pour tous ceux qui vivent de cet événement, « paix et miséricorde », ajoute Saint Paul. Voilà l’origine et la source de notre devenir de « création nouvelle » : le mystère pascal, actualisé dans nos vies par le baptême.
L’Evangile nous découvre les conséquences de ce baptême, les conséquences d’être vraiment « création nouvelle ». Car cela vient renouveler fondamentalement notre manière d’être au monde, nous qui mettons notre confiance dans la puissance du Seigneur.
Les ouvriers sont appelés pour moissonner. Non pas pour semer, enseigner, expliquer aux autres ce qu’ils ne connaîtraient pas, mais pour récolter ce qui a déjà germé et grandit et mûri. Retournement du regard, qui ne se désole pas devant une terre aride ou polluée, mais qui sait recevoir et accueillir ce qui nous a précédé, ce qui est beau dans le cœur de l’homme et dans la vie du monde ainsi que ce qui est question et inquiétude. Et la récolte de la moisson, du blé, pourra servir à faire de la farine, et du pain… jusque dans l’offrande et l’action de grâce de l’eucharistie, comme nous la célébrons ensemble ce matin. Voilà notre mission de disciples, loin des jérémiades qu’on entend parfois : récolter, offrir et rendre grâce.
Récolter, offrir et rendre grâce en apportant la paix à ceux que nous rencontrons. La paix, la guérison, la tendresse et la miséricorde de Dieu. La qualité de la vie fraternelle à laquelle l’évangile nous invite est le critère nécessaire pour que la récolte soit vraie et que la mission soit juste. Et là est une façon concrète de faire advenir ce « Règne de Dieu qui s’approche de nous ». Et cela dans et avec une liberté totale : si notre parole ou notre présence n’est pas accueillie, point de malédiction. Mais secouer la poussière de nos sandales, pour ne pas embêter davantage les autres. L’amour accepte cette liberté de ne pas être reçu, il ne s’impose pas par la force ou par un quelconque moyen. Il s’offre et se laisse accueillir librement par celui qui reçoit. Le disciple est ainsi envoyé comme un agneau, sans autre défense que sa confiance en Dieu et son espérance, sans autre arme que le salut qu’il a reçu au jour de son baptême. Condition de la « création nouvelle », qui a abandonné tous les codes du monde pour vivre autrement, de façon prophétique.
Quelle joie de vivre ainsi ! Les disciples reviennent joyeux de leur expérience, et nous les comprenons. Je me permets de rapprocher cette joie des disciples de la joie de ceux qui ont vécu même petitement l’expérience de la Caravane de l’Espérance entre l’Ascension et la Pentecôte, passant de village en village pour apporter la paix, récolter la richesse partagée et vivre en profondeur la fraternité.
Avec Lilirose, réjouissons-nous ce matin que nos noms sont inscrits dans les cieux, que le Mystère Pascal nous donne de vivre (jusqu’au milieu des détresses de ce monde, et en nous attelant à toujours plus de justice) comme une « création nouvelle », en pèlerins d’espérance, dans la confiance, la paix et l’action de grâce.
Amen
P. Benoît Lecomte
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