Polyphonie pour les migrants

Solidarité

Dans un essai choral au ton méditatif, le philosophe italien Vincenzo Sorrentino cherche
à réveiller la compassion pour les migrants.
Face aux migrants : le silence et le regard
de Vincenzo Sorrentino
Traduit de l’italien par Gérard Besnier
François Bourin, 152 p.,

Que peut faire un philosophe face au drame des migrants ? On pressent que cette
question a hanté l’Italien Vincenzo Sorrentino avant qu’il n’écrive ce texte, qui ne
ressemble à aucun autre sur ce sujet. Avec une grande liberté, ce philosophe de
l’université de Pérouse a choisi de s’extraire du débat politique pour rejoindre notre
intériorité et tenter de comprendre ce que le drame des migrants touche (ou ne touche pas) en nous.
Au coeur du dernier conflit mondial, la jeune philosophe Etty Hillesum avait pressenti la fécondité de ce retour sur soi. « Je ne crois pas que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur, que nous n’ayons d’abord corrigé en nous. L’unique leçon de cette guerre est de nous avoir appris à chercher en nous-mêmes et pas ailleurs », peut-on lire dans Une vie bouleversée.
S’adressant directement à son lecteur, Vincenzo Sorrentino fait valoir cette leçon pour aujourd’hui. « C’est de notre disposition intérieure face à ces personnes dont je veux parler », écrit-il. « Quel rapport existe-t-il entre eux et notre vie à nous ? Entre leurs besoins, opportunités, espérances, désirs et les nôtres ? Entre leur naissance leur mort et les nôtres ? »
En deçà de nos raisonnements, de notre indifférence ou de notre cruauté inavouée,
nous voici conviés à un exercice d’imagination. « L’imagination est un pont », croit le
philosophe. Dans le silence d’une intimité retrouvée avec nous-mêmes, quelques
lignes d’un récit de vie font alors surgir des visages déchirants. Mustapha, 5 ans, petit Érythréen dont la température corporelle a chuté à 27 °C après un naufrage et sur lequel les sauveteurs ne trouvent même pas une veine pour le perfuser. Ces femmes retrouvées mortes, « les mains en conque sur la bouche des enfants, comme pour tenter de leur permettre de respirer quelques secondes de plus, pour empêcher l’eau de pénétrer dans leurs poumons ». Ou ce survivant, qui raconte comment il a tenté de sauver sa femme et ses deux enfants de la noyade. En vain. « Suspendu entre la vie et la mort, il avait dû penser, calculer, évaluer, et puis prendre une décision. S’il avait continué à nager, ils auraient coulé tous les quatre, morts, noyés. Alors, à la fin, il l’avait fait : il avait ouvert sa main droite et il avait lâché celle de son enfant. Il l’avait vu disparaître, lentement, pour toujours. Et tout le temps qu’il me racontait cela, il ne cessait de pleurer et moi non plus je ne parvenais pas à cesser de pleurer. »
Vincenzo Sorrentino convoque de poignants récits de rescapés ou de sauveteurs, des
philosophes (Rousseau, Lévinas…), des écrivains (Erri de Luca, Leopardi, Manzoni,
Dostoïevski…) mais aussi les sources bibliques et à la parole du pape François. Tout un choeur plaidant pour une « éthique de la proximité », qui trouve dans la figure du Bon Samaritain son archétype. « Il me semble que l’éthique évangélique de la proximité nous dit que, souvent, la source du mal n’est ni le non-savoir, ni le non-penser, mais le non-ressentir », confie-t-il.
Le philosophe ne s’en cache pas : il cherche à réveiller quelque chose en nous. Il le fait avec délicatesse, sans jugement, mais sans amoindrir nos responsabilités. Il ne nous demande pas de réponses, juste de nous laisser atteindre. Qui sait ce qui pourrait surgir si des couples, des familles, des groupes d’amis ou des paroisses lisaient ensemble ce petit livre-là ?
Élodie Maurot

Partagez cette page à vos amis !




Télécharger au format PDF

Je recherche