Saint Martin et Armistice de la Grande Guerre
- Evangile (Mt 25, 32-40)
« Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs : il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche.
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde.
Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !”
Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?”
Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges.
Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.”
Alors ils répondront, eux aussi : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?”
Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.”
Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »
- Homélie
Il y a 103 ans, à 11 h, le11 novembre 1918, les clairons résonnaient dans la clairière de Rethondes aux portes de Compiègne, aux quatre points cardinaux pour signifier le cessez-le-feu. Dans la France entière qui avait donné tant et tant de ses enfants devenus soldats, les cloches pouvaient sonner comme un jour de Pâques et non plus comme le tocsin.
La joie est grande certes, et nous le comprenons, mais le bilan est lourd avec ses 18,6 MM de morts, d’invalides et de mutilés. Le Musée du Val de Grâce et la littérature contemporaines nous le rappelle (Marc Dugain, La chambre des officiers en 1999 et plus récemment en 2021 La Volonté).
Ce fut une entrée fracassante dans le XXème siècle.
Ma famille comptait deux veuves de guerre et j’ai eu à officier dans l’Oise il y a quelques années au rapatriement des ossements d’un soldat fusillé pour l’exemple dans le village de Sarcus.
Le 11 novembre, dans l’Eglise catholique, c’est aussi la fête de Saint Martin, lui aussi soldat, officier et fils d’officier. Son père est tribun de l’armée romaine en garnison en Pannonie, la Hongrie d’aujourd’hui, qui différa son désir de baptême et de vie monastique toute donnée au Dieu des Chrétiens, pour servir l’armée de l’Empereur. D’ailleurs son père l’a appelé Martin c’est-à-dire Voué à Mars, dieu romain de la guerre. Il est, peut-on dire, lié héréditairement à la carrière miliaire de son père et au culte que ce dernier rend à l’Empereur. Dès l’âge de 15 ans, il est mobilisé et entre dans l’armée par respect pour la situation sociale de ses parents, mais sa vocation chrétienne est si puissante que retarder son désir de se faire baptiser n’a pas vraiment d’importance.
Il est circiter, c’est-à-dire un officier patrouilleur chargé de faire le tour des gardes et des garnisons, et pour cela il touche double solde, solde qu’il partage généreusement avec les plus défavorisés. Il est si charitable qu’il a un esclave qu’il traite comme un frère.
Il est affecté en Gaule, à Amiens. Un soir d’hiver alors qu’il fait sa ronde règlementaire, en 334 il rencontre un homme déguenillé sur le bord du chemin. Et il peut faire froid dans le nord de la France, je le sais, j’en viens. Il a 18 ans, et il est capable de donner la moitié de son manteau à ce pauvre homme nu et grelottant.
Après 25 ans de service de l’armée romaine, il peut se préoccuper de son désir de vie monastique. Il rencontre saint Hilaire, un prélat de son âge et évêque de Poitiers. L’évêque lui donne alors une villa romaine en ruine, au bord du Clain, à Ligugé, à une centaine de kilomètres d’Angoulême. Enfin il peut mener la vie érémitique qu’il désirait depuis longtemps, dans la solitude et le silence, jusqu’à ce que par ruse, on fasse de lui l’évêque de Tours, où d’ailleurs il continuera à vivre en moine et où son tombeau est toujours vénéré comme il l’a été au cours des siècles où pratiquement tous les rois de France sont venus prier.
L’Evangile de saint Matthieu dont nous venons de lire une page, nous présente deux formes de rencontres avec Dieu.
Au début de la vie publique de Jésus, par le Discours sur la Montagne, où le Seigneur donne des conseils sur la prière dans le secret et la solitude du contemplatif.
Vers la fin de son évangile, saint Matthieu nous parle de la rencontre avec Dieu à travers l’autre, celui qui a faim et froid, celui qui est nu ou injustement en prison, ceux qui ont besoin d’amour pas seulement en bonnes paroles et en gestes compatissants qui nous donnent bonne conscience, mais en vérité.
Ces deux types de rencontres sont complémentaires et aucune des deux ne peut être plus vraie que l’autre.
La rencontre du jeune Martin avec un pauvre gelé sur le bord de la route, seul et déshérité, abandonné et nu nous rappelle aussi la vision de saint Paul sur le chemin de Damas : « Je suis Jésus que tu persécutes. » Aux portes d’Amiens couvert de neige, au IVème siècle, le songe de Martin y répond : « Je suis Jésus avec qui tu as partagé ton manteau. »
Cette rencontre sera pour le jeune officier Martin, une étape fondamentale dans son parcours de conversion et son chemin spirituel, qui le conduira jusqu’à bien d’autres rencontres.
Saint Martin, dans sa solitude de Ligugé ou celle de Marmoutier s’insère dans cette longue tradition spirituelle des moines d’Egypte et d’Afrique du Nord, comme Cyprien de Carthage par exemple 150 ans plus tôt.
Alors, nous, catholiques d’aujourd’hui, même si nous ne sommes ni moines ni ascètes, soyons animés d’un désir sans borne de connaître Dieu et, encore plus important, d’être connu de Lui.
Combien nous aimerions entendre le Seigneur nous dire : « Entre dans la vie, entre dans la joie de ton maitre. »
Amen
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