“L’Espérance ne déçoit pas”, repères de discernement sur la vie sociale et politique en 2022

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Publié le 28 février 2022

À l’approche de l’élection présidentielle de 2022, le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France a souhaité proposer très largement un document de réflexion et de discernement. Il s’inscrit dans le sillage des textes publiés au seuil des années électorales précédentes : Qu’as-tu fait de ton frère ? (2006), Un vote pour quelle société (2011), Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique (2016).

Avec humilité et détermination, les membres du Conseil permanent veulent attirer l’attention des candidats, des catholiques et de tous les citoyens sur ce qu’implique le choix de vivre en société, le respect inconditionnel de toute vie humaine, l’authentique promotion de la liberté et l’écologie intégrale. Ils manifestent ainsi à quel point les religions ne sont pas une menace pour la société mais peuvent au contraire contribuer à sa vitalité et à sa paix.

La déclaration est construite autour de 7 chapitres :

  • Choisir de vivre ensemble en paix
  • Le respect inconditionnel de toute vie humaine
  • Promouvoir la liberté, l’égalité et la fraternité
  • Les religions : une chance pour notre société en quête de sens
  • Pour une écologie authentiquement intégrale
  • La France n’est pas une île
  • Transmettre

À l’aune de la campagne électorale 2022, le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France publie “L’espérance ne déçoit pas”. Les dix évêques proposent aux citoyens, aux catholiques et à ceux qui voudront bien le lire, quelques repères de discernement sur la vie sociale et politique. L’Église souhaite avec humilité contribuer à la réflexion qui alimentera les débats nécessaires au vote de la prochaine Présidence de la République.

La Direction de la communication de la Ensemble des évêques de France.Conférence des évêques de France propose dans ce dossier des éclairages pour nous emparer de ce texte. Chaque semaine, un épisode sonore vient nous aider à nous poser les bonnes questions sur les enjeux sociaux et politiques du débat électoral 2022.

1. L’année 2022 sera marquée dans notre pays par les élections présidentielles et législatives. Ces échéances électorales sont une occasion de débattre et de discerner dont les catholiques ne sauraient se désintéresser. Le contexte actuel pose aux concitoyens que nous sommes tous des questions singulièrement graves et nombreuses : elles appellent à prendre toute leur notre part à la réflexion commune. L’interrogation biblique « qu’as-tu fait de ton frère ? » avait servi de titre au document proposé par les évêques à l’approche des élections de 2007. Cette question doit rester l’exigence principale qui déterminera nos choix électoraux.

2. C’est avec humilité que l’Église catholique intervient dans le débat qui s’ouvre. Réunis en Assemblée plénière début novembre 2021, les évêques de France ont en effet reconnu la responsabilité institutionnelle de l’Église dans les violences qu’ont subies tant de personnes victimes d’agressions sexuelles en son sein et la dimension systémique de ces abus. Notre Église a failli. C’est bien conscient de cette situation que le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France ose néanmoins partager la présente réflexion car Celui en qui nous croyons nous invite à lui rendre témoignage, au-delà même des fautes et des péchés que nous reconnaissons.

3. La crise du coronavirus souligne avec brutalité les fragilités humaines et spirituelles de notre société mais aussi sa grande capacité de rebond et de créativité. Il y a en elle beaucoup de violences latentes qui s’expriment parfois malheureusement en paroles et en actes. Le risque de fracturation de notre communauté nationale tout comme la recrudescence des tensions internationales sont réels. La période électorale constitue une occasion pour chacun d’assumer mieux ses responsabilités à l’égard de tous. Nous ne pouvons pas nous laisser enfermer dans l’amertume ou le découragement. Notre foi chrétienne nous pousse à affirmer et à reconnaître les capacités de justice et de paix présentes dans le cœur humain. Nous sommes donc constamment appelés non seulement à la vigilance éthique et sociale mais aussi à l’espérance.

4. La vie en société passe par le choix de chacun de vivre en paix avec tous. « Retrouver le sens du politique », comme nous y invitions en 2016, ce n’est pas d’abord avoir des idées sur la politique mais avant tout cultiver le désir de respecter profondément et activement ceux et celles au milieu de qui nous vivons. Le défi inhérent au système démocratique consiste pour une société à choisir la direction qu’elle veut prendre en acceptant la confrontation des aspirations et des conceptions diverses de ses membres.

5. Nous appelons donc de nos vœux un débat préélectoral qui permette une rencontre franche et respectueuse des idées et des programmes, afin d’aboutir à une décision électorale qui pourra être accueillie par tous et porter du fruit à long terme. De ce point de vue, si la décision de voter blanc peut avoir du sens, s’abstenir de voter est un manquement à la responsabilité qui incombe à chacun à l’égard de tous : assumer cette responsabilité est un devoir qui demeure même dans des institutions toujours imparfaites et toujours p Il n’est d’ailleurs pas illégitime de se demander si les modifications apportées à nos institutions ces dernières décennies ont vraiment favorisé une amélioration de leur fonctionnement et une participation plus effective des citoyens à la vie politique.

6. Les chrétiens savent également que la justesse éthique et la justice sociale vont de pair et qu’il n’est jamais légitime ni fécond de choisir l’une au détriment de l’autre ou d’imaginer préserver l’une en sacrifiant l’autre. Le bien commun est un tout complexe dont on ne peut se satisfaire de privilégier une dimension en négligeant les autres. Un des apports possibles des chrétiens à la réflexion commune est précisément la prise en compte attentive de « tous les hommes et de tout l’homme », de la richesse globale des personnes et de la société à préserver et à promouvoir.

7. Le premier confinement a été scandé par le souci de « sauver des vies », au risque d’oublier parfois que toute personne humaine a besoin de relations d’amitié et d’affection mais également de nourrir la dimension spirituelle de sa vie. Pour les chrétiens, la grandeur d’une société est d’aider tous ses membres à respecter la vie et la dignité de tous et en particulier des plus fragiles. Comment ne pas être étonnés et profondément attristés de voir se conjuguer parfois, de façon totalement contradictoire, la tentation de l’euthanasie avec une certaine surenchère sanitaire. La voie authentiquement humaine, celle qui contribue en profondeur à la paix, ne peut consister ni dans l’acharnement thérapeutique ni dans le recours à l’euthanasie : elle exige le respect et l’accompagnement attentif et bienveillant de chaque personne à tous les stades de son existence. Il faut souhaiter un développement plus ambitieux des soins palliatifs dans notre pays : ce sera un signe clair qui parlera à tous.

8. « Sauver des vies », comme notre société en a éprouvé le réflexe à approfondir à la faveur de la crise sanitaire, c’est aussi accueillir la vie naissante avec respect et émerveillement. La volonté d’allonger toujours davantage les délais d’autorisation d’interruption volontaire de grossesse constitue une violence de surcroît à l’égard de la société tout entière, en particulier à l’égard des personnes les plus fragiles ou handicapées. A l’inverse, toutes les initiatives d’inclusion des personnes en situation de handicap dans le monde scolaire ou le monde du travail contribuent à la santé de l’ensemble de notre société. Le mot d’ordre biblique : « choisis la vie » (Deutéronome 30, 19) constitue également une salutaire maxime politique.

9. Respecter la vie humaine revient donc à prêter vraiment attention à autrui. Le repli sur soi ne mène ni à la paix, ni au bonheur. Collectivement, nous avons besoin de retrouver et de développer le sens de l’amitié civique, de la confiance et de la bienveillance. Aucun d’entre nous ne vit de manière autonome. Nous dépendons les uns des autres comme la crise sanitaire nous l’a de nouveau rappelé. Quand elle n’est que la somme des intérêts particuliers, la société prête souvent le flanc à des violences. Il est de la responsabilité des politiques mais aussi de chaque citoyen de définir et de mettre en œuvre des projets qui contribuent vraiment au bien commun et de promouvoir dans ce but le respect, l’écoute, le dialogue et le sens du compromis, en un mot les règles de la civilité.

10. La communauté humaine n’est pas une création du politique mais elle lui préexiste : le politique est au service de cette communauté et lui permet d’accomplir ce pour quoi elle est faite. Les chrétiens n’attendent pas tout de la politique et les politiques doivent se garder de promettre plus qu’ils ne sont en mesure d’offrir. La révélation biblique et les sagesses humaines, celle des anciens Grecs en particulier, mettent en garde contre la démesure ou l’idolâtrie du pouvoir. Promouvoir humblement et sérieusement la justice et la paix, limiter l’injustice et la violence, ces objectifs peuvent sembler trop peu ambitieux alors qu’ils traduisent le souci authentique du bien commun qui cherche à créer les conditions d’épanouissement de la liberté de chacun et de tous. Beaucoup d’hommes et de femmes intègres et courageux, engagés en politique, pourraient en témoigner, car la paix et la justice sociale dépendent pour une bonne part de l’engagement et des initiatives (culturelles, économiques, sociales, éducatives, associatives…) de tous les citoyens. Il ne s’agit donc pas d’attendre trop des pouvoirs publics, ni pour les politiques de surenchérir dans les promesses : les citoyens ne peuvent pas se défausser sur l’Etat ou les collectivités territoriales des responsabilités qui leur reviennent en propre.

11. Encore faut-il que les autorités politiques respectent et promeuvent effectivement la liberté, l’égalité et la fraternité. Le débat sur la « loi confortant le respect des principes de la République » a mis en évidence une tentation : celle de porter atteinte, par souci de la sécurité, à la liberté d’expression, d’association, d’éducation, voire de culte, et à l’égalité des citoyens, qu’ils soient ou non croyants. De plus, l’omniprésence des moyens numériques pose de nouvelles questions de respect des libertés. Il n’y aura pas d’égalité et de fraternité authentiques ni même de sécurité véritable et durable sans respect scrupuleux de la liberté des personnes. En retour, la liberté ne peut pas tout se permettre et ignorer les exigences de la fraternité. C’est le sens de l’interpellation que les évêques ont lancée en novembre 2020 à la suite de l’assassinat d’un enseignant à Conflans et de trois fidèles dans la basilique de Nice : « Il est temps de réfléchir à la manière dont nos institutions collectives et nos comportements individuels doivent promouvoir le respect et déployer la fraternité. Cette réflexion urgente doit être engagée par les pouvoirs publics. Elle concerne chacun d’entre nous. Elle nous concerne tous ». Chacun est libre de s’interroger sur les opinions et les représentations des autres mais tous doivent s’interdire la dérision et l’humiliation destructrices. Les relations humaines nécessitent une forme de tact et celui-ci est le fruit de l’éducation.

12. Notre société est divisée et habitée par des violences latentes. Il est inquiétant en particulier que la police, la gendarmerie et même les pompiers et les premiers secours puissent être injuriés voire agressés. Il arrive que les forces de l’ordre se trouvent confrontées à des violences extrêmes et se sentent peu soutenues dans leur lutte contre la délinquance : parce qu’elles incarnent l’État, leur manière de se comporter aura valeur d’exemple et la rectitude de leur comportement a besoin d’être encouragée. La société française se sent menacée et aspire à plus de sécurité face au terrorisme et à la violence sociale mais les moyens sécuritaires sont nécessaires et non suffisants. Le respect de la Loi à tous les niveaux, du code de la route au code des impôts, s’impose à tous les citoyens. On devra aussi, dans le débat électoral, s’interroger sur la place qu’a prise la consommation des drogues, qu’elles soient qualifiées de « douces » ou de « dures » par leurs utilisateurs. La tentation de transgresser les limites de sa conscience lucide ou de son état physique normal et l’appétit de certains pour de nouveaux marchés et des profits élevés agissent à l’encontre du sens de la responsabilité de chacun envers le bien de tous.

13. Parmi les libertés fondamentales, le Conseil d’État l’a rappelé récemment à plusieurs reprises, figure la liberté religieuse. La « laïcité à la française », structurée par une jurisprudence qui a toujours promu le respect, l’équilibre et le dialogue, ne peut être sacrifiée sur l’autel de la peur (ou, dans certains cas, de visées électoralistes). Comme tous les citoyens, les croyants de toute religion sont tenus au respect de l’ordre public mais n’ont pas à être suspectés a priori en raison de leur appartenance confessionnelle.

14. Le dénigrement systématique des cultes ne parvient qu’à susciter du religieux refoulé, potentiellement violent. Il est parfois plus facile pour les législateurs de débattre des religions à coup de formules à l’emporte-pièce que d’assumer pleinement les fonctions d’abord régaliennes et sociales de la puissance publique. Les religions peuvent toujours être instrumentalisées par la violence qui habite le cœur humain et le mouvement fondamental de la religion ne peut se ramener à une quête d’identité particulière : il doit être suscité par la recherche de Dieu, du bien, du vrai et du beau.

15. La rencontre des croyants de différentes religions, à laquelle concourt la laïcité de notre société française, est une chance pour notre avenir social commun. Les croyants peuvent trouver dans leur religion les motifs profonds et larges d’un engagement réel dans la vie sociale et pour le bien commun, dans la sobriété de vie et le respect mutuel. La loi commune qui respecte la liberté de conscience de tout citoyen est la leur. Ils l’observent mais participent aussi à son élaboration qui peut passer parfois par sa contestation. La loi doit, en toute hypothèse, respecter les droits et les principes fondamentaux, tels qu’ils sont affirmés notamment dans la Déclaration universelle des droits de l’homme ou notre Constitution. La foi en un Dieu unique, Créateur de tous les hommes, fait grandir la conviction d’une unique humanité appelée à une destinée commune.

16. La crise climatique qui menace la vie sur notre planète appelle une transformation écologique. Le monde occidental a créé depuis la révolution industrielle une société d’abondance, voire de surabondance, dont le moteur est devenu la consommation. Le confinement du printemps 2020 nous a fait découvrir non seulement l’urgence d’une évolution de notre système de production et de nos modes de consommation, mais aussi la possibilité d’un autre mode de vie, plus sobre, moins centré sur la consommation mais faisant toute leur place aux relations interpersonnelles. Le pape François y avait exhorté dès juillet 2015 par son encyclique Laudato si’. Il appelait tous les humains, spécialement les catholiques, à engager leur intelligence, leur énergie, leur créativité, leur volonté, non seulement à sauvegarder la « maison commune», mais plus encore à en « prendre soin ». Au moment où les élections offrent la possibilité de définir un nouveau projet collectif, il doit être clair qu’il ne suffit pas d’améliorer notre système de production et notre manière de consommer : il s’agit de travailler à les transformer profondément pour chercher comment produire ce dont nous avons besoin sans pour autant encombrer la terre de déchets ni épuiser ses ressources au risque d’en priver les générations à venir. Nos responsables économiques, industriels, agricoles et politiques doivent nous aider à oser cette transition. Ils ont commencé de la faire mais la décennie qui vient doit être une décennie de changements décisifs.
17. Nous, catholiques, ajoutons que l’écologie doit être « intégrale ». Elle ne comprend pas seulement l’environnement de l’humanité, mais aussi la manière dont l’humanité se traite elle-même. Comme l’affirme le pape François, « l’écologie intégrale est inséparable de la notion de bien commun, un principe qui joue un rôle central et unificateur dans l’éthique sociale» (Laudato si’, 56). Parmi les conditions sociales qui contribuent au bien commun et donc à l’écologie intégrale, il faut citer : le respect de la structure familiale et de la vérité de la filiation, la lutte contre la misère, l’habitat indigne et les conditions de vie dégradantes, le refus de tout ce qui porte atteinte à la dignité humaine, y compris l’esclavage dont la pratique perdure en certains pays. Comment prétendre promouvoir la biodiversité sans respecter au premier chef la dignité humaine dans toutes ses dimensions, notamment dans le domaine des recherches biotechnologiques ? Comment se réclamer du principe de précaution sans veiller à ne pas déstabiliser la condition humaine par des trucages juridiques ou des manipulations biologiques ? Le souci écologique peut et doit devenir toujours davantage une grande dynamique fédératrice pour notre pays et pour notre temps : encore faut-il qu’il ne se détruise pas lui-même en se coupant de tout ce qui fonde et protège la spécificité et la dignité humaines.
18. Le confinement du printemps 2020 a fait ressortir la différence de condition entre ceux et celles qui sont logés agréablement et ceux et celles qui vivent dans des appartements trop petits, sans isolation phonique satisfaisante et dans des cités dépourvues d’espaces verts. Un plan de construction de logements et d’aménagement des quartiers périphériques devrait à nouveau être défini afin de permettre à tous nos concitoyens de bénéficier d’espaces naturels, de beauté, de culture et de gratuité, à proximité de leur domicile. Il y a en France près de 9 millions de personnes vivant sous « le seuil de pauvreté ». Il y a dans le monde 800 millions de personnes qui ne mangent pas à leur faim. Si ces personnes sont proportionnellement moins nombreuses que dans le passé, elles ne sauraient être considérées comme un nombre incompressible auquel il faudrait se résigner. Toute politique économique, toute vision de la production, de la consommation et de la distribution, doivent chercher à proposer des solutions concrètes pour que notre société française soutienne tous ses membres et que notre pays contribue à la justice à l’échelle internationale.

-> Retrouvez ici le dossier des évêques de France mis à jour

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2 réponses sur « “L’Espérance ne déçoit pas”, repères de discernement sur la vie sociale et politique en 2022 »

françois Mehaud dit :

“Pour une écologie authentiquement intégrale”… je comprend bien ce qui est demandé. Toutefois les termes employés me choquent un peu, même si ce sont ceux utilisés par le pape lui même. Pourquoi ne pas parler plus simplement du “respect de la création” ?

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