Mgr Claude Dagens, un jubilé dans la joie, la fraternité et la souffrance.
L’évêque émérite d’Angoulême a fêté hier 04 octobre 2020 ses 50 ans d’ordination sacerdotale à la Cathédrale Saint Pierre. Ordonné prêtre le 4 octobre 1970 pour le diocèse de Bordeaux, il succède à Mgr Georges Rol le 22décembre1993 dont il était le coadjuteur depuis le 15juin1993. Son homélie a invité les fidèles à méditer encore sur le mystère pascal dont sa vie est imprégnée et de vivre une fraternité réelle.
Dès 15h30, une grande procession de 5 évêques et des prêtres vers l’autel du Seigneur a ouvert la célébration du jubilé de Mgr Claude Dagens. Sur le visage de l’élu du jour qui avançait au rythme de son âge pour présider cette Eucharistie, une grande joie transparaissait qui inondait l’assemblée nombreuse, heureuse de revoir son ancien pasteur. Après le mot de bienvenue donné par Mgr Hervé Gosselin, le jubilaire a exprimé toute sa joie de voir tout ce monde venu pour célébrer avec lui. Il voyait dans la présence des autres évêques présents, de sa famille et de toute l’assemblée, un témoignage fort pour lui traduire l’estime et l’affection. Les mains et les yeux levés constamment vers le ciel, le jubilaire a rendu grâce à Dieu pour tous les dons reçus de lui.
Les textes choisis pour la célébration lui ont donné un autre prétexte pour enseigner le peuple de Dieu, en puisant dans les ressources de sa foi et de son expérience personnelle. L’évangile du jour a été tiré de la prière sacerdotale du Christ. Il a lui-même dit l’essentiel de son homélie dans cet appel pour tous : « Frères et sœurs, vivons de la fraternité réelle qui vient du Christ. » Pour lancer cet appel, il est partie de la façade de la Cathédrale et du témoignage d’un ami qui a eu l’autorisation de monter sur l’échafaudage. Il a admiré la phrase surprenante de ce dernier à sa descente : « J’ai vu son visage de miséricorde.» Scrutant mieux cette image, le jubilaire voit le Seigneur monter vers le ciel. En même temps, il est tourné vers la terre. Il reste lié à l’humanité. Il regarde les hommes et femmes, et il demeure avec eux. Il est toujours dans le frère en humanité. Il appelle surtout à pratiquer entre nous et dans le monde cette fraternité qui vient de lui. Ce qui nous manque le plus dans notre société devenue si dure et si violente, dira-t-il, c’est la pratique réelle de cette fraternité quotidienne et qui ne se contente pas des apparences.
Dans cette homélie, il a aussi pris l’image du serviteur d’Isaïe venu annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, guérir ceux qui ont le cœur brisé et proclamer aux captifs la libération. L’histoire de François d’Assise, le saint du jour, embrassant un lépreux, a été un appel à la fraternité et à la pauvreté. Son regard s’est arrêté sur les pauvres et sur le discours de l’Eglise : « L’Eglise catholique qui est en France n’ose pas assez faire comprendre à tous cette réalité de l’aggravation de la pauvreté.» Son histoire personnelle avec un clochard qui l’a méchamment bousculé à Paris et dont il en porte les séquelles dans sa chair, a permis que les fidèles soient informés des souffrances qu’ils endurent depuis quatre ans.
A la fin de la célébration, le jubilaire a reçu des mains du père Michel Granger, vicaire général, un livre sur l’Esprit Saint. Un tonnerre d’applaudissements a ensuite accompagné cet hommage. Bien que la messe fut terminée, le jubilaire est resté longtemps avec une foule de fidèles qui s’empressaient d’échanger avec lui. Selon Mgr Jacques Gaillot, « cette célébration était la bienvenue pour lui, parce que ce n’est pas facile pour lui d’être en retraite à Paris. Il se retrouve aujourd’hui dans cette cathédrale avec les gens qu’il a connus et aimés. Il a été applaudi. Il va en rêver et se dire dans sa solitude parisienne qu’il a des gens qui l’aiment et qui prient pour lui. »
Quelques prêtres et laïcs présents n’ont pas manqué d’exprimer leur joie et de relever quelques qualités de ce pasteur qu’ils avaient connu : un homme de Dieu qui invite à revisiter le mystère pascal. Un homme d’une grande intelligence et capable de rebondir sur des sujets. Un homme qui invite à mettre notre intelligence et notre raison au service de cette foi. Un homme très volontaire qui permettait à chacun d’être à sa place. Un pasteur. Bon anniversaire Monseigneur.
Jacques Emmanuel NDONG
Homélie de Mgr Dagens pour son jubilé sacerdotal
Cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême, Dimanche 4 octobre 2020
FRÈRES ET SŒURS, VIVONS DE LA FRATERNITÉ QUI VIENT DU CHRIST !
Mgr Claude DAGENS
Tout récemment, un ami d’Angoulême m’a raconté ceci : il a été autorisé à monter sur l’échafaudage dressé devant notre cathédrale Saint-Pierre. Il a pu s’approcher de la figure du Christ qui est tout en haut. Et il m’a dit, spontanément : « J’ai vu son visage de miséricorde ». J’ai fait silence et j’ai admiré cette parole.
Je n’oublie pas que, très souvent, durant mes années en Charente, j’ai contemplé cette façade, et je regardais vers Lui, le Seigneur. Il monte vers le ciel de Dieu, mais en même temps, il est tourné vers notre terre. Il reste lié à notre humanité. Il demeure avec nous, même si nous ne le voyons plus. Il est toujours notre frère et surtout, il nous appelle à pratiquer la fraternité entre nous tous, avec Lui, nous, les membres de son Corps, et vous aussi qui semblez l’oublier ou l’ignorer.
C’est en son nom que je vous parle aujourd’hui, de tout mon cœur de chrétien, avec la conviction que ce qui nous manque le plus, aujourd’hui, dans notre monde si dur et parfois si inquiet, c’est la pratique de cette fraternité quotidienne et obstinée, qui a sa source en Lui, et qui passe par des gestes, des paroles et des silences.
Bien des siècles avant sa naissance, Jésus était promis par le prophète Isaïe, quand il évoquait ce serviteur de Dieu, qui viendrait « annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur libération ».
Pauvres, de façon visible ou invisible, nous le sommes tous ou appelés à le devenir. Au XIIIe siècle, Francesco Bernardone, lui, le fils d’une riche famille de commerçants d’Assise, l’est devenu, à partir du moment où il a osé embrasser un de ces lépreux dont il avait horreur. Jésus lui est apparu à travers ce lépreux, jusqu’au jour où, sur la montagne de l’Alverne, il a été marqué, dans son corps, des blessures de Jésus crucifié. Il vivra du Christ aimant, jusqu’au terme de sa vie, dans tout son être d’homme.
Des pauvres, nous en avons toujours avec nous, et ils nous appellent à devenir leurs frères. Ils sont tout près de nous, comme je l’ai souvent compris moi-même, en Charente, en rencontrant des gens du monde rural, cultivateurs ou éleveurs, quand ils me disaient : « Nous n’osons plus ouvrir nos boîtes à lettres, parce que nous craignons d’y trouver des factures à payer. » Et les pauvres ne crient pas. Ils ont leur dignité, jusqu’au jour où ils explosent parce que leurs souffrances cachées engendrent leurs colères. Et nous savons cela, nous aussi et l’Église catholique qui est en France n’ose pas assez le faire comprendre à tous, parce que l’épidémie actuelle provoque des peurs terribles qui nous replient sur nous-mêmes.
Mais, tout en partageant ces colères, je n’oublie pas tous ces signes peu visibles de fraternité réelle dont j’ai été témoin, à travers des personnes aimantes et des communautés chrétiennes de Charente, et aussi bien au-delà du monde catholique. Tant de signes de proximité malgré tout ce qui nous sépare ! Tant de gestes d’attention et de tendresse, malgré tout ce qui risque de durcir nos cœurs !
C’est durant ses dernières heures, peu avant son arrestation violente, son procès et sa mise à mort, que Jésus donne un commandement nouveau à ses disciples : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Et Lui continue à nous aimer au-delà de toute mesure, et à prier pour nous : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi », là où tout sera renouvelé.
Et Jésus, vainqueur du mal, nous associe à son combat. À une condition très difficile à accepter : que nous consentions à nous dépouiller de nous-mêmes, autant qu’il est possible humainement. Je ne cesse pas de l’apprendre. Surtout que peu après mon arrivée à Paris, il y a quatre ans, j’ai vu un clochard ivre qui crachait sur des personnes, attendant un bus, et j’étais avec elles. Je me suis approché de lui. J’ai vu ses yeux injectés de sang, et j’ai osé lui dire : « Nous sommes tous des pauvres. » Je ne l’ai pas vu venir derrière moi et me jeter à terre, violemment. Épaule fracassée. Opération. Et, depuis quatre ans, il m’arrive de m’effondrer. J’espère me relever, mais je vis désormais dans des conditions très éprouvantes, à cause des mesures, parfois inhumaines, liées au coronavirus.
Cette passion du Christ pour nous, elle passe aussi à l’intérieur de nous. C’est l’expérience de l’apôtre Paul. Il le dit fortement : « Nous sommes traversés, mais non pas anéantis. Nous portons dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre corps. »
Quelle expérience ! Mais c’est le cœur de toute vie chrétienne, comme pour François d’Assise, qui n’a jamais été ni moine, ni prêtre, et c’est aussi le cœur de notre vie de prêtres, d’évêques et de diacres.
C’était le cœur de la vie et de la mort des moines de Tibhérine, que j’ai revus l’autre soir à la télévision. Pardonnez ce détour final. Mais je pense au Frère Luc, le médecin, joué par Mickaël Lonsdale.
Quand il appuie son visage sur le corps de Jésus à moitié dénudé et qui va vers son supplice, sur un tableau du Caravage. Cette fraternité aimante et charnelle fait partie de nos vies.
Frères et sœurs, vivons de cette fraternité qui vient du Christ à travers sa miséricorde ! Qu’elle passe par nous ! Oui, ainsi soit-il pour nous tous, avec François d’Assise et le pape François !