Message du Pape pour le 1er janvier 2025

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Publié le 17 décembre 2024

MESSAGE
DE SA SAINTETÉ 
FRANÇOIS
POUR LA 58ème 
JOURNÉE MONDIALE DE LA PAIX

1er janvier 2025

Remets-nous nos dettes, donne-nous ta paix

I. À l’écoute du cri de l’humanité menacée

1. À l’aube de cette nouvelle année que nous donne le Père céleste, un temps jubilaire consacré à l’espérance, j’adresse mes vœux les plus sincères de paix à toute femme et à tout homme, en particulier à ceux qui se sentent abattus par leur condition existentielle, condamnés par leurs erreurs, écrasés par le jugement des autres, et qui ne parviennent plus à percevoir une quelconque perspective pour leur vie. À vous tous, espérance et paix, car cette année est une Année de Grâce qui vient du Cœur du Rédempteur !

2. En 2025, l’Église Catholique célèbre le Jubilé, un événement qui remplit les cœurs d’espérance. Le “jubilé” remonte à une ancienne tradition juive où le son d’une corne de bélier (en hébreu yobel) annonçait, tous les quarante-neuf ans, une année de clémence et de libération pour le peuple (cf. Lv 25, 10). Cet appel solennel devait en théorie se répercuter dans le monde entier (cf. Lv 25, 9), afin de rétablir la justice de Dieu dans les différents domaines de la vie : l’usage de la terre, la possession des biens, les relations avec le prochain, en particulier les plus pauvres et ceux qui étaient tombés en disgrâce. Le son de la corne rappelait à tout le peuple, aux riches comme aux pauvres, que personne ne vient au monde pour être opprimé : nous sommes frères et sœurs, enfants d’un même Père, nés pour être libres selon la volonté du Seigneur (cf. Lv 25, 17.25.43.46.55).

3. Aujourd’hui encore, le Jubilé est un événement qui nous pousse à rechercher la justice libératrice de Dieu sur la terre. Nous voudrions au début de cette Année de Grâce entendre, non pas la corne, mais l’« appel à l’aide désespéré» [1] qui monte de nombreuses parties du monde et que Dieu ne cesse d’entendre, comme la voix du sang d’Abel le juste (cf. Gn 4, 10). À notre tour, nous nous sentons appelés à être la voix de si nombreuses situations d’exploitation de la terre et d’oppression du prochain. [2] Ces injustices prennent parfois l’allure de ce que saint Jean-Paul II a appelé des « structures de péché » [3] puisqu’elles ne sont pas seulement dues à l’iniquité de quelques-uns mais se sont, pour ainsi dire, enracinées et reposent sur une large complicité.

4. Chacun doit se sentir d’une certaine manière responsable de la dévastation à laquelle notre maison commune est soumise, en commençant par les actions qui, ne serait-ce qu’indirectement, alimentent les conflits qui affligent l’humanité. Des défis systémiques, distincts mais interconnectés, frappant notre planète sont ainsi alimentés et entremêlés. [4] Je pense notamment aux inégalités de toutes sortes, au traitement inhumain réservé aux personnes migrantes, à la dégradation de l’environnement, à la confusion générée de manière coupable par la désinformation, au refus de tout type de dialogue et au financement énorme de l’industrie militaire. Autant de facteurs d’une menace réelle pour l’existence de l’humanité tout entière. En ce début d’année, nous voulons donc nous mettre à l’écoute de ce cri de l’humanité pour nous sentir appelés, tous ensemble et personnellement, à briser les chaînes de l’injustice afin de proclamer la justice de Dieu. Des actions épisodiques de philanthropie ne pourront pas suffire. Des transformations culturelles et structurelles sont nécessaires pour qu’un changement durable se produise. [5]

II. Un changement culturel : nous sommes tous redevables

5. L’événement jubilaire nous invite à entreprendre des changements pour affronter la situation présente d’injustice et d’inégalité, en nous rappelant que les biens de la terre sont destinés non seulement à quelques privilégiés, mais à tous. [6] Il peut être utile de rappeler ce qu’écrivait saint Basile de Césarée : « Qu’y a-t-il, dis-moi, qui t’appartienne ? Où as-tu pris quelque chose pour l’introduire dans ta vie ? […] N’es-tu pas sorti nu du sein de ta mère ? Ne t’en retourneras-tu pas nu encore dans la terre ? Les biens présents, d’où te sont-ils venus ? Si tu dis que c’est du hasard, tu es un impie, car tu ignores le Créateur et tu n’as pas de reconnaissance pour Celui qui t’a pourvu ». [7] Lorsque la gratitude disparaît, l’homme ne reconnaît plus les dons de Dieu. Mais, dans son infinie miséricorde, le Seigneur n’abandonne pas les hommes qui pèchent contre Lui : Il confirme plutôt le don de la vie par le pardon du salut, offert à tous par Jésus-Christ. C’est pourquoi, en nous enseignant le “Notre Père”, Jésus nous invite à demander : « Remets-nous nos dettes » ( Mt 6, 12).

6. Lorsqu’une personne ignore le lien qui l’unit au Père, elle pense que les relations avec les autres peuvent être régies par une logique d’exploitation où le plus fort prétend avoir le droit d’empiéter sur le plus faible. [8] De même qu’à l’époque de Jésus les élites profitaient des souffrances des plus pauvres, de même aujourd’hui, dans le village mondial interconnecté, [9] le système international, s’il n’est pas nourri par des logiques de solidarité et d’interdépendance, génère des injustices exacerbées par la corruption, qui piègent les pays pauvres. La logique de l’exploitation du débiteur décrit aussi en résumé la “crise de la dette” actuelle qui touche plusieurs pays, en particulier du Sud.

7. Je ne me lasse pas de répéter que la dette extérieure est devenue un instrument de contrôle par lequel certains gouvernements et institutions financières privées des pays les plus riches n’hésitent pas à exploiter, sans discernement, les ressources humaines et naturelles des pays les plus pauvres, afin de satisfaire les besoins de leurs propres marchés. [10] À cela s’ajoute le fait que plusieurs populations, déjà accablées par la dette internationale, se voient contraintes de supporter également le fardeau de la dette écologique des pays les plus développés. [11] Dette écologique et dette extérieure sont les deux faces d’une même médaille, de cette logique d’exploitation qui culmine dans la crise de la dette. [12] Profitant de cette année jubilaire, j’invite la Communauté internationale à agir pour remettre la dette extérieure, en reconnaissant l’existence d’une dette écologique entre le Nord et le Sud. C’est un appel non seulement à la solidarité, mais surtout à la justice. [13]

8. Le changement culturel et structurel propre à surmonter cette crise aura lieu lorsque nous nous reconnaîtrons tous fils du Père et nous nous confesserons tous débiteurs devant Lui et tous nécessaires les uns aux autres, selon une logique de responsabilité partagée et diversifiée. Nous pourrons découvrir « définitivement que nous avons besoin les uns des autres et que nous avons des dettes les uns envers les autres ». [14]

III. Un chemin d’espérance : trois actions possibles

9. Si notre cœur se laisse toucher par ces changements nécessaires, l’Année de Grâce du Jubilé pourra ouvrir de nouveau le chemin de l’espérance pour chacun d’entre nous. L’espérance naît de l’expérience de la miséricorde de Dieu qui n’a jamais de limites. [15]

Dieu, qui ne doit rien à personne, continue d’accorder sans cesse sa grâce et sa miséricorde à tous les hommes. Isaac de Ninive, un Père de l’Église orientale du VII ème siècle, a écrit : « Ton amour est plus grand que mes dettes. Les vagues de la mer sont peu de chose comparées au nombre de mes péchés, mais si je pèse mes péchés, comparés à ton amour, ils s’évanouissent comme rien » [16]. Dieu ne calcule pas le mal commis par l’homme mais il est immensément « riche en miséricorde, à cause du grand amour dont Il nous a aimés » ( Ep 2, 4). En même temps, Il entend le cri des pauvres et de la terre. Il suffirait de s’arrêter un instant, au début de cette année, et de penser à la grâce par laquelle Il pardonne toujours nos péchés et remet toutes nos dettes, pour que nos cœurs soient inondés d’espérance et de paix.

10. C’est pourquoi Jésus, dans la prière du “Notre Père”, dit une chose très exigeante après avoir demandé au Père la remise de nos dettes (cf. Mt 6, 12) : « Comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs ». Pour remettre une dette aux autres et leur donner de l’espérance, il faut en effet que notre vie soit remplie de cette même espérance qui vient de la miséricorde de Dieu. L’espérance est surabondante dans la générosité, dépourvue de calcul ; elle ne fait pas les comptes dans les poches des débiteurs, elle ne se soucie pas de son propre gain, mais elle n’a qu’un seul but : relever ceux qui sont tombés, panser les cœurs brisés, libérer de toute forme d’esclavage.

11. Je voudrais donc, au début de cette Année de Grâce, suggérer trois actions susceptibles de redonner de la dignité à la vie de populations entières et de les remettre sur le chemin de l’espérance afin que la crise de la dette puisse être surmontée et que tous puissent à nouveau se reconnaître comme des débiteurs pardonnés.

Je reprends tout d’abord l’appel, lancé par saint Jean-Paul II lors du Jubilé de l’an 2000, à penser à une « réduction importante, sinon à un effacement total, de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations ». [17] En reconnaissant la dette écologique, puissent les pays les plus riches se sentir appelés à tout mettre en œuvre pour remettre les dettes des pays qui ne sont pas en mesure de rembourser ce qu’ils doivent. Certes, pour qu’il ne s’agisse pas d’un acte de charité isolé qui risquerait ensuite d’enclencher à nouveau un cercle vicieux financement-dette, il faut, dans le même temps, développer une nouvelle architecture financière conduisant à la création d’une Charte financière mondiale, basée sur la solidarité et l’harmonie entre les peuples.

Je demande également un engagement ferme à promouvoir le respect de la dignité de la vie humaine, depuis la conception jusqu’à la mort naturelle, afin que toute personne puisse aimer sa propre vie et envisager l’avenir avec espérance, en désirant le développement et le bonheur pour elle-même et pour ses enfants. En effet, sans espérance en la vie, il est difficile que naisse dans le cœur des plus jeunes le désir d’engendrer d’autres vies. En particulier, je voudrais encore une fois inviter à un geste concret qui favorise la culture de la vie. Je veux parler de l’abolition de la peine de mort dans toutes les nations. En effet, cette pratique, non seulement transgresse l’inviolabilité de la vie, mais anéantit aussi toute espérance humaine de pardon et de renouveau [18].

J’ose également relancer un autre appel aux jeunes générations, me référant à saint Paul VI et à Benoît XVI, [19] en ces temps marqués par les guerres. Utilisons un pourcentage minimum fixe de l’argent dépensé aux fins d’armements pour la création d’un Fonds mondial qui élimine définitivement la faim et facilite les activités éducatives dans les pays les plus pauvres, afin de promouvoir le développement durable, en luttant contre le changement climatique. [20] Nous devons essayer d’éliminer les prétextes qui poussent les jeunes à imaginer leur avenir sans espoir, ou comme une attente de venger le sang de leurs proches. L’avenir est un don qui permet dépasser les erreurs du passé, afin de construire de nouveaux chemins de paix.

IV. L’objectif de la paix

12. Ceux qui entreprendront, à travers les gestes suggérés, le chemin de l’espérance pourront voir s’approcher l’objectif tant désiré de la paix. Le psalmiste nous confirme cette promesse : quand « amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s’embrassent » ( Ps 85, 11). Lorsque je me dépouille de l’arme du crédit et que je rouvre la voie de l’espérance à une sœur ou à un frère, je contribue au rétablissement de la justice de Dieu sur cette terre et je marche avec cette personne vers la paix. Comme le disait saint Jean XXIII, la paix véritable ne pourra venir que d’un cœur désarmé de l’angoisse et de la peur de la guerre. [21]

13. Que 2025 soit une année où progresse la paix ! Cette paix véritable et durable qui ne s’arrête pas aux querelles des contrats ni aux tables des compromis humains. [22] Cherchons la paix véritable, celle que Dieu donne à un cœur désarmé : un cœur qui ne calcule pas ce qui est à moi et ce qui est à toi ; un cœur qui défait l’égoïsme par l’empressement à aller à la rencontre des autres ; un cœur qui n’hésite pas à se reconnaître débiteur de Dieu et qui est prêt pour cela à remettre les dettes qui oppriment le prochain ; un cœur qui surmonte le découragement face à l’avenir par l’espérance que chacun est une richesse pour ce monde.

14. Le désarmement du cœur est un geste qui concerne tout le monde, des premiers aux derniers, des petits aux grands, des riches aux pauvres. Parfois, il suffit de quelque chose de simple comme « un sourire, un geste d’amitié, un regard fraternel, une écoute sincère, un service gratuit ». [23] Avec ces petits et grands gestes, nous nous rapprochons de la paix, et nous y arriverons d’autant plus vite que, cheminant aux côtés de nos frères et sœurs retrouvés, nous découvrirons que nous avons déjà changé par rapport au départ. La paix n’advient pas seulement du fait de la fin de la guerre, mais par le commencement d’un monde nouveau, un monde où nous nous découvrons différents, plus unis et plus frères que nous ne l’aurions imaginé.

15. Accorde-nous ta paix, Seigneur ! Telle est la prière que j’élève à Dieu, tandis que j’adresse mes vœux pour la nouvelle année aux Chefs d’État et de Gouvernement, aux Responsables des Organisations internationales, aux Chefs des différentes religions, à toute personne de bonne volonté.

Remets-nous nos dettes, Seigneur,
comme nous les remettons à nos débiteurs,
et, dans ce cycle de pardon, accorde-nous ta paix,
cette paix que Toi seul peux donner
à ceux qui se laissent désarmer le cœur,
à ceux qui, avec espérance, veulent remettre leurs dettes à leurs frères,
à ceux qui confessent sans crainte qu’ils sont tes débiteurs,
à ceux qui ne restent pas sourds au cri des plus pauvres.

Du Vatican, le 8 décembre 2024

FRANÇOIS

_____________________

[1] Spes non confundit. Bulle d’Indiction du Jubilé Ordinaire de l’Année 2025 (9 mai 2024), n. 8.

[2] Cf. S. Jean-Paul II, Lett. ap. Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n. 51.

[3] Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 36.

[4] Cf. Discours aux participants à la Rencontre organisée par l’Académie Pontificale des Sciences et l’Académie Pontificale des Sciences Sociales, 16 mai 2024.

[5] Cf. Exhort. ap. Laudate Deum (4 octobre 2023), n. 70.

[6] Cf. Spes non confundit. Bulle d’Indiction du Jubilé Ordinaire de l’Année 2025 (9 mai 2024), n. 16.

[7] Homilia de avaritia, 7 : PG 31, 275.

[8] Cf. Lett. enc. Laudato si’ (24 mai 2015), n. 123.

[9] Cf. Catéchèse, 2 septembre 2020 : L’Osservatore Romano, 3 septembre 2020, p. 8.

[10] Cf. Discours aux participants au Séminaire “Debt Crisis in the Global South”, 5 juin 2024.

[11] Cf. Discours à la Conférence des États parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique – COP 28, 2 décembre 2023.

[12] Cf. Discours aux participants au Séminaire “Debt Crisis in the Global South”, 5 juin 2024.

[13] Cf. Spes non confundit. Bulle d’Indiction du Jubilé Ordinaire de l’Année 2025 (9 mai 2024), n. 16.

[14] Lett. enc. Fratelli tutti (3 octobre 2020), n. 35.

[15] Cf. Spes non confundit. Bulle d’Indiction du Jubilé Ordinaire de l’Année 2025 (9 mai 2024), n. 23.

[16] Discours X (Troisième collection), Prière dont se divertissent les solitaires, 100-101 : CSCO 638, 115. S. Augustin va même jusqu’à affirmer que Dieu ne cesse de se faire débiteur de l’homme : « Puisque “ta miséricorde est éternelle”, tu daignes par tes promesses te faire le débiteur de ceux à qui tu remets toutes leurs dettes » ( Confessiones, 5,9,17 : PL 32, 714).

[17] Lett. ap. Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n. 51.

[18] Cf. Spes non confundit. Bulle d’Indiction du Jubilé Ordinaire de l’Année 2025 (9 mai 2024), n. 10.

[19] Cf. S. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 51 ; Benoît XVI, Discours au Corps Diplomatique, 9 janvier 2006 ; Id., Exhort. ap. post syn. Sacramentum caritatis (22 février 2007), n. 90.

[20] Cf. Lett. enc. Fratelli tutti (3 octobre 2020), n. 262 ; Discours au Corps diplomatique, 8 janvier 2024 ; Discours à la Conférence des États parties à la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique – COP 28, 2 décembre 2023.

[21] Cf. Lett. enc. Pacem in terris (11 avril 1963), n. 113.

[22] Cf. Moment de prière à l’occasion du dixième anniversaire de l’« Invocation pour la paix en Terre Sainte », 7 juin 2024.

[23] Spes non confundit. Bulle d’Indiction du Jubilé Ordinaire de l’Année 2025 (9 mai 2024), n. 18.

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